Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, le 12 mai 2018. / STEPHANE MAHE / REUTERS

L’Assemblée nationale a adopté, dans la nuit du mardi 15 au mercredi 16 mai, l’article 2 du projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes. Mais les critiques continuent de s’élever contre cet article défendu par la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Les « anti-article 2 » estiment qu’il transforme le viol sur mineur en simple délit et c’est pourquoi plus de 250 personnalités ont lancé une pétition, lundi, demandant sa suppression. Parmi elles, l’ancien candidat à la présidentielle Benoît Hamon, qui a dénoncé un viol « rétrogradé de crime à simple délit ».

L’article 2 est moins protecteur que sa version antérieure, modifiée après avis du Conseil d’Etat en mars. Mais dire qu’il transforme le viol en délit est faux. Trois questions pour mieux comprendre cette polémique.

Que dit l’article 2 du projet de loi ?

L’article 2 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, consultable ici, prévoit plusieurs changements.

  • Création d’une circonstance aggravante au délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans lorsqu’il y a pénétration

Actuellement, « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de 15 ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » (article 227-25).

Autrement dit : quand les conditions du viol ne sont pas remplies, la victime mineure de moins de 15 ans peut attaquer en justice son agresseur pour « atteinte sexuelle ». Dans le code pénal, le viol est défini ainsi :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. » (article 222-23)
Ce délit ne remplace pas le crime de viol mais permet de condamner plus fermement une atteinte sexuelle avec pénétration lorsque la définition complète du viol n’est pas remplie

Le projet de loi prévoit d’augmenter la peine maximale, pour le délit d’atteinte sexuelle, de cinq à dix ans d’emprisonnement et de 75 000 à 150 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis avec pénétration sexuelle. Ce délit ne remplace donc pas le crime de viol mais permet de condamner plus fermement une atteinte sexuelle avec pénétration lorsque la définition complète du viol n’est pas remplie (ou que le viol est impossible à prouver). La pénétration deviendrait une 6e circonstance aggravante au délit de l’article 227-25.

Le projet de loi ajoute que, lorsqu’un majeur est accusé de viol sur un mineur de moins de 15 ans, mais qu’au cours des débats, l’existence de la violence, contrainte, menace ou surprise (nécessaires pour caractériser le viol) est contestée, le juge doit « poser la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur » pour envisager une requalification possible des faits.

  • Précision de la « contrainte morale » et de la « surprise » en cas de viol sur mineur

Les notions de « contrainte morale » et de « surprise » servent actuellement à démontrer l’absence de consentement et à caractériser un viol chez les adultes et les mineurs. « Il y a surprise lorsque la victime ne réalise pas ce qui est en train de se passer : endormie, droguée ou alcoolisée ; ou surprise de l’enfant qui ne s’attend pas ou ne comprend pas les actes subis », illustre l’avocate Carine Durrieu Diebolt sur Village justice. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait qu’exerce celui-ci sur cette victime, prévoit actuellement le code pénal (article 222-22-1).

L’article 2 va plus loin que la loi actuelle en précisant, après amendement, que pour les mineurs de moins de 15 ans, la contrainte morale et la surprise « sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». D’après Marlène Schiappa, mercredi matin au micro de France Info, cette formulation revient à fixer un seuil de 15 ans en-dessous duquel la contrainte et la surprise (et donc l’absence de consentement, et donc le viol) sont présumées. A condition toutefois que l’infraction ait été commise avec pénétration, qui reste l’un des critères du viol. « Ce n’est absolumment pas une présomption, il s’agit simplement d’une précision de ce que peut être la contrainte morale », explique à l’inverse Audrey Darsonville, professeure de droit à l’université de Lille et membre du collectif Les Surligneurs.

Quels problèmes pose l’article 2 ?

Pour les opposants à cet article 2, une atteinte sexuelle sur mineur avec pénétration est un viol. Le nouveau texte prévoit deux cas pour un mineur de 15 ans qui subit une pénétration sexuelle :

- soit il peut prouver qu’il y a violence, contrainte morale ou physique, menace ou surprise, et dans ce cas, c’est un viol ;

- soit il ne peut pas le prouver et dans ce cas, il s’agit du délit d’atteinte sexuelle avec la circonstance aggravante créée par le projet de loi.

Or, pour les « anti-article 2 », il n’existe pas de pénétration sur mineur de 15 ans sans contrainte morale. Les critères habituels du viol n’ont donc aucune raison d’être. « On ne peut pas aborder les viols sur mineurs comme les viols sur adultes, explique la psychiatre Muriel Salmona, ne serait-ce que parce que les enfants n’ont pas encore de sexualité. »

  • Risque de « correctionnalisation »

Les anti-article 2 alertent sur le risque de « correctionnalisation » des viols sur mineurs. Une victime qui pourrait attaquer son agresseur en justice, parce qu’elle peut prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, pourrait en effet préférer l’attaquer sur le terrain correctionnel, via le nouveau délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans avec pénétration mais sans violence, contrainte, surprise ou menace. Le choix de la victime pourrait être motivé par les délais de justice plus courts en correctionnelle que devant les cours d’assises. Les magistrats et avocats eux-mêmes pourraient inciter les victimes à se situer sur le terrain correctionnel, la réforme ayant notamment pour fonction de désengorger les cours d’assises.

Le choix de la victime pourrait être motivé par les délais de justice plus courts en correctionnelle

« La symbolique, la reconnaissance du traumatisme change complètement », dénonce Muriel Salmona, notamment spécialiste de la mémoire traumatique. Devant la cour d’assises, l’instruction comme l’audience sont plus longues. Les faits sont minutieusement épluchés et les témoins et experts appelés sont nombreux, parfois sur plusieurs jours. Devant le tribunal correctionnel, les audiences sont plus courtes et impliquent moins de témoins et experts, faute de temps. « La réparation du traumatisme du viol passe par la mise en sens, les détails. Et même si ces procédures peuvent être très difficiles pour les victimes, la très grande majorité d’entre elles ne regrettent pas leur choix d’aller en justice », rappelle le Dr Salmona.

  • Culpabilisation des victimes

Toujours selon ses opposants, l’article 2 entérine des situations traumatisantes pour les victimes. Ainsi, un mineur de 15 ayant subi une pénétration à laquelle il n’a pas consenti mais auquel les juges refusent la qualification de « viol » faute de pouvoir prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise pourra encore compter sur la nouvelle définition du délit d’atteinte sexuelle. Autrement dit, si la victime ne peut prouver l’existence d’un de ces quatre éléments, elle ne peut prouver son absence de consentement. « Cela revient à dire à la victime qu’elle a, d’une certaine manière, participé à ce qui lui est arrivé, critique Muriel Salmona, or les dénis de réalité [par la justice] sont extrêmement traumatisants pour les victimes de viol. »

L’article 2 est-il moins protecteur aujourd’hui que dans sa version initiale ?

Oui, car l’article initial, modifié à la suite d’un avis négatif du Conseil d’Etat en mars, prévoyait que le viol serait constitué dès lors qu’un mineur de moins de 15 ans subirait une pénétration sexuelle et que l’auteur « connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ». Le Conseil d’Etat s’est opposé à ce seuil de consentement, en-dessous duquel le viol aurait été présumé sans qu’il soit nécessaire de prouver la violence, la contrainte, la surprise ou la menace.

D’après le Conseil d’Etat, ce seuil de présomption d’absence de consentement (qui existe dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou la Belgique) était contraire à notre Constitution. « Certes, le projet de loi n’établit pas directement, comme cela avait été évoqué dans des déclarations publiques, une présomption de culpabilité », écrit-il. Mais l’article pose plusieurs « difficultés constitutionnelles (...) particulièrement sérieuses ». En particulier, l’article « ne caractérise pas suffisamment l’élément intentionnel du crime ». En effet, le fait que l’auteur « ne pouvait ignorer » l’âge de la victime ne répond pas à l’exigence constitutionnelle relative à l’élément intentionnel en matière criminelle.

Dans son avis, il prend l’exemple d’un mineur de 17 ans et demi et d’une adolescente de 14 ans qui entretiendraient une relation librement consentie de manière habituelle et légale. « La disposition envisagée conduit à ce que le premier soit, dès ses 18 ans et alors que rien ne vient modifier son comportement, passible d’un crime de viol pouvant le renvoyer devant la cour d’assises : cette qualification sera d’autant plus automatique qu’il sera facilement démontré, s’agissant d’une relation suivie, qu’il connaissait l’âge de la victime ou ne pouvait l’ignorer ».