Matteo Salvini (à gauche), le chef de la Ligue et Luigi Di Maio le dirigeant du Mouvement 5 étoiles, le 5 avril, à Rome. / TIZIANA FABI, ALBERTO PIZZOLI / AFP

La Banque centrale européenne (BCE) peut-elle, d’un coup de plume, effacer 250 milliards d’euros de la dette publique italienne qu’elle détient ? L’idée peut, à première vue, paraître séduisante et simple. Elle est prônée par le Mouvement 5 étoiles et la Ligue de Matteo Salvini (droite souverainiste) dans la version provisoire du contrat de gouvernement dévoilée mardi 15 mai par le Huffington Post Italia, et démentie presque aussitôt par la Ligue.

Inacceptable politiquement pour les autres Etats membres, elle n’est de fait pas réaliste, car elle serait illégale au regard des traités européens comme de l’indépendance de la BCE, gravée dans son statut, et garantissant sa crédibilité. Celle-ci est le pilier permettant à l’euro d’exister : sans cela, les investisseurs fuiraient la monnaie unique, qui serait condamnée.

Pour rappel, la BCE détient aujourd’hui l’équivalent de 368 milliards d’euros d’obligations souveraines italiennes (rachetées essentiellement dans le cadre de son programme de soutien à la croissance, le « quantitative easing », ou QE), soit l’équivalent de 16 % du total de la dette publique italienne. Le reste est détenu pour l’essentiel par les banques italiennes et des investisseurs étrangers.

Des projets qui alimentent déjà la tension des marchés

Mercredi 16 mai, le porte-parole de la Ligue chargé des questions économiques est intervenu pour assurer que le projet de son parti n’est pas de demander à la BCE d’effacer 250 milliards d’euros de dette italienne, mais d’obtenir que la dette rachetée dans le cadre du QE ne soit pas prise en compte dans le calcul du respect des règles du Pacte de stabilité. A savoir, celles imposant la limite de 3 % du produit intérieur brut (PIB) pour le déficit public, et de 60 % du PIB pour la dette publique.

Là aussi, cette proposition ne fait guère de sens. Et pas seulement parce que la Commission européenne (c’est elle qui vérifie que le pacte de stabilité est appliqué) ne la jugerait pas conforme aux traités. La dette publique de l’Italie dépasse aujourd’hui les 130 % du PIB : même en excluant les obligations détenues par la BCE, elle dépasserait toujours 100 % du PIB, loin de la barre des 60 %. En outre, une telle manipulation n’aurait, en vérité, qu’un intérêt limité. Les marchés ne seraient pas dupes.

Surtout cela risquerait de faire flamber les taux auxquels emprunte l’Italie, lesquels sont aujourd’hui contenus à un faible niveau grâce à l’effet du QE de la BCE. D’ailleurs de nouvelles tensions apparaissent. En effet, les projets des deux formations alimentent déjà la tension des marchés. Les taux à dix ans italiens étaient, mercredi au matin, à 1,95 %, contre 1,87 % la veille. Si les investisseurs étrangers venaient à douter de la capacité du futur gouvernement italien à honorer sa dette, ou à maîtriser ses finances publiques, ils pourraient chercher à se débarrasser des obligations italiennes qu’ils détiennent – ce qui ferait grimper les taux d’emprunts du pays, voire, lancerait la spéculation contre la péninsule, comme en 2012, au plus fort de la crise.