En pleine place Bellecour, un stand photo à l’effigie de l’Olympique de Marseille rappelle aux supporters lyonnais la cruelle affiche de la finale de Ligue Europa. / William Audureau (Le Monde)

La femme, une trentaine d’années, américaine à en croire son accent, touche du doigt le tissu bleu sur la poitrine du vendeur. « C’est le maillot pour la Coupe d’Europe, celui-là ? » Le commerçant corrige, c’est la tunique extérieure en championnat. « Mais, demain soir, c’est bien ce maillot-là qui joue ? » Le vendeur de la boutique officielle de l’Olympique lyonnais se pince les lèvres. « Non, ce sont des compétitions différentes. Celui-ci, c’est Lyon, en championnat de France. » Il pointe le doigt en direction de la place Bellecour, où les touristes ont commencé à s’amasser. « Là-bas, c’est la finale de l’Europa League, entre Marseille et Madrid. » Il ne sera pas possible de poser des questions ni au vendeur, ni à la cliente : le service de presse du club rhodanien ne souhaite pas de reportage dans ses boutiques sur le vague à l’âme lyonnais à la veille du grand match. « Sujet sensible », nous explique-t-on.

Pour toute une ville, la fête aura un goût amer, mercredi 16 mai. La capitale des Gaules a la chance d’accueillir une finale de Coupe d’Europe, deux ans après avoir reçu une demi-finale de l’Euro sur ses terres (Portugal-Pays de Galles, 2-0), et c’est une équipe française qui pourrait bien soulever le prestigieux trophée. Mais de l’autre, cette équipe française, c’est le grand rival marseillais, concurrent acharné de l’Olympique lyonnais sur et en dehors des terrains durant toute la saison.

L’OL a rêvé de la disputer, cette finale à domicile. En huitièmes de finale de la compétition, le onze rhodanien commençait déjà à rêver, avant d’être inexplicablement éliminé par un CSKA Moscou très prenable (1-0, 2-3). Sur la place Bellecour, au milieu des mini-terrains de football déployés par l’UEFA, c’est désormais un carton à l’effigie du onze marseillais, taille réelle, qui sert de stand photo aux passants. Un trou ovale a été découpé à la place de la tête de l’attaquant phocéen Valère Germain, pour laisser les touristes y glisser leur minois.

Sur Twitter, des supporters marseillais facétieux se sont d’ores et déjà empressés d’en réaliser un montage avec la tête tout sourire de Jean-Michel Aulas, le président lyonnais, chez qui ils se sont jurés de remporter le trophée, dans une nouvelle bravade entre les deux clubs.

« A 200 %, 300 %, 1 000 % pour l’Atletico »

Pour Charly, fondateur de Gones Away, un groupe de supporters lyonnais résidant à Paris, ce serait l’humiliation de trop. « Je suis à 200 %, 300 %, 1 000 % pour l’Atletico. C’est complètement assumé. Je veux bien que l’OM gagne l’Europe, mais pas chez nous. »

Alors que le Paris-Saint-Germain boxe, désormais, dans une autre catégorie et que Monaco ne suscite guère les passions, Marseille est devenue la nouvelle bête noire des supporters lyonnais, presque plus encore que les frères ennemis stéphanois. « Je vais esquiver le match le plus possible, mais j’espère clairement que l’OM perde parce que j’estime que détester une équipe 364 jours par an ne peut pas s’effacer comme ça sans une certaine schizophrénie, résume Hugo, 23 ans, ingénieur dans l’automobile. Donc gloire à l’Atleti et espérons qu’il n’arrive rien de grave en ville demain. »

Après plusieurs confrontations électriques entre les deux olympiques, et une animosité explosive en dehors des terrains, cette finale se double même d’enjeux sportifs inattendus : une victoire madrilène ferait les affaires de… Lyon. « On sera derrière l’équipe française, évidemment, mais aussi derrière l’Atlético Madrid, car on sait que s’il gagne, le troisième du Championnat de France sera qualifié pour la Ligue des champions », a prévenu le président lyonnais. L’OL est actuellement 3e, à une journée de la fin. « Je pense parler au nom de tous les Lyonnais : on veut qu’ils perdent, martèle Charly. Le cœur, comme la raison le demandent. »

« Ils méritent un peu »

Si certains promettent sur les réseaux sociaux que « la colère est passée », la gêne reste palpable chez de nombreux résidents lyonnais. Ainsi de Lorine, étudiante de 19 ans, qui depuis la place Bellecour, observe le spectacle des passants madrilènes avec ses amies. « J’hésite entre Marseille, parce que c’est français, et l’Atletico, parce qu’ils sont meilleurs. Mais Marseille, ce sont des concurrents Mais, en même temps, ils sont français C’est gênant », soupire-t-elle.

Quelques mètres plus loin, Mathys, 12 ans, vient de marquer d’un petit pont parfait sur le mini-terrain gonflable de 1 contre 1. Mais son visage essouflé se ferme aussitôt quand on lui demande qui il soutiendra mercredi à 21 heures. « Pas Marseille », lâche-t-il comme on recrache un noyau, avant de s’éclipser. « Même si c’est une compétition internationale, la concurrence footballistique française reste en jeu », explique sa mère Marjorie, 40 ans, responsable d’une agence de réparation automobile.

Certains tentent pourtant d’être beaux joueurs. « Je serai plutôt pour Marseille, je les suis un peu, je les aime bien, ils ont de l’envie, de l’énergie, ils donnent ce qu’ils ont », reconnaît Kassim, 20 ans, pourtant supporter de l’OL. « Ils ont fait une bonne saison, rien à dire », corrobore Thiam, cuisinier de 22 ans, attablé avec plusieurs de ses amis à la terrasse d’une boulangerie proche de la gare de Perrache. « On reçoit la finale chez nous et on n’est pas fichus de battre le CSKA Moscou. Je m’en fiche de l’OM, mais ils méritent un peu », hoche-t-il de la tête. « Frère, arrête, ils ont dit qu’ils allaient casser le stade ! », l’interrompt dans un fou rire son voisin Mehdi, 22 ans, déménageur, visiblement peu effrayé par la venue des supporters de Marseille.

Et puis, il y a la veine patriotique, l’une des rares à transcender la rivalité entre les deux villes. « Il ne doit pas y avoir de jalousie, écarte Kara, 17 ans, joueur dans le club amateur du FC Tassin, en banlieue lyonnaise. OM, OL, tout ça, c’est français, si demain, c’est l’OL qui joue une finale à Marseille, c’est l’OL qu’il faudra encourager. » Un avis partagé par son binôme, entre deux parties de tennis-ballon. « L’OM, c’est français, on ne peut pas encourager l’autre équipe », jure Fabrice, 21 ans, qui voit déjà les Phocéens l’emporter 2-0. Charly évoque même des ultras prêts à souhaiter la victoire de Marseille, non par masochisme, mais pour contrarier Jean-Michel Aulas et l’obliger à changer de stratégie sportive pour le club. « La stratégie de la terre brûlée », détaille-t-il. D’autres réalisent qu’il y a peut-être des beaux souvenirs à glaner. « S’ils gagnent, je me ferais passer pour l’un des leurs et j’irai faire la fête dans les rues de Lyon avec eux », annonce Thiam.