« Marlina, la tueuse en quatre actes » a déclenché un débat sur la condition féminine dans les régions rurales de l’archipel. / Asian Shadows

L’homme ne prend pas la peine de frapper à la porte de cette maison isolée. Il s’invite chez Marlina, une jeune veuve, lui réclame des feuilles de bétel à mâcher, de la soupe de poulet et annonce que six amis à lui sont en chemin pour dérober son bétail, ses vivres, et coucher avec elle s’ils ont le temps. « Ce soir, tu seras la femme la plus chanceuse du monde », lui dit-il, en grattant sa mandoline. « Ce soir, je serai la femme la plus misérable », rétorque-t-elle. « Ah, vous, les femmes ! Toujours à jouer les victimes. » Quand les hommes arrivent, Marlina, agressée par le chef de bande, finit par le décapiter avec son sabre et à en tuer d’autres dans un effet d’hémoglobine tarantinesque.

Une jeune réalisatrice

L’année dernière, au Festival de Cannes, le film indonésien Marlina si Pembunuh dalam Empat Babak (Marlina, la tueuse en quatre actes) était applaudi à la Quinzaine des réalisateurs. Quelques mois plus tard, en novembre 2017, il sortait dans 80 salles du pays. Depuis, il cumule plus de 150 000 spectateurs et nourrit les conversations. Un record pour un film d’auteur, genre mineur dans une industrie où règnent les films d’action et de fantômes ainsi que les comédies sentimentales. Autre rareté dans le cinéma indonésien : Marlina est réalisé par une femme, Mouly Surya, 37 ans, déjà remarquée au Festival de Sundance en 2013 pour son précédent long-métrage What They Don’t Talk About When They Talk About Love, autour de jeunes citadins handicapés.

« Dans cette île à majorité animiste marapu, les habitants se baladent avec des sabres à la ceinture et la place de la femme est à la cuisine. » La réalisatrice Mouly Surya

Marlina (pas encore sorti en France) séduit un certain public, parce qu’il s’intéresse à une région négligée du pays. Le film a été tourné loin de Java, où vit la moitié de la population, sur la petite île de Sumba. Avec son panorama étonnant de plaines arides jaunies par le soleil, ce décor a inspiré la touche mi-western, mi-samouraï. L’intrigue est imprégnée de la culture locale, portée sur la superstition, à l’instar des apparitions du violeur décapité qui vient titiller la conscience de Marlina. « Dans cette île à majorité animiste marapu, les habitants se baladent avec des sabres à la ceinture et la place de la femme est à la cuisine », a raconté Mouly Surya dans les médias.

L’écho que le film trouve encore, plusieurs mois après sa sortie, tient à sa dénonciation de la condition féminine. « Marlina offre une réponse à la question : “Pourquoi les femmes sont-elles toujours en colère ?” A cause du patriarcat. Et le film le décrit bien en termes de violence contre les femmes, notamment sexuelle, de difficultés pour les survivantes à obtenir justice », rapporte Hera Diani, cofondatrice du webmagazine féministe Magdalene.

Marlina the Murderer in Four Acts Trailer | SGIFF 2017
Durée : 01:42

Sur la route du poste de police où elle veut se rendre, Marlina croise une amie enceinte, molestée par son mari qui croit que le bébé est en siège car elle lui a été infidèle. Puis, au commissariat, dans une séquence sardonique, la réalisatrice met en scène l’inanité des fonctionnaires qui préviennent que l’outil médical pour attester des viols n’arrivera que dans un mois… Ce dernier sujet est particulièrement présent dans un pays où, selon un sondage de 2016, 90 % des victimes ne déposent pas plainte de peur d’être stigmatisées. Pour le blogueur et cinéphile Boby Andika, le film fait l’effet d’une « claque » : « Nous autres citadins, nous nous imaginons que les droits des femmes ont atteint un bon niveau, parce qu’elles peuvent travailler, aller à l’université… Mais, dans le contexte rural où évolue Marlina, le chemin vers l’émancipation est encore long et la lutte est loin d’être terminée. »

Eléonore Sok-Halkovich