A l’université d’Angers, le 15 mai, les parents étaient invités à venir découvrir, sans leur progéniture, le fonctionnement de la fac. / Yves Tréca-Durand / Lemonde.fr

« L’université, usine à chômeurs ? » L’intitulé de l’atelier est volontiers provocateur. Ce n’est pas le seul. L’université d’Angers (23 750 étudiants) a décidé de battre en brèche les idées reçues sur les amphis qui débordent, les étudiants assis sur les escaliers ou livrés à eux-mêmes, avec les soirées arrosées pour seul horizon. Mardi 15 mai, les parents étaient ainsi invités à venir découvrir ce qu’il en est vraiment, sans leur progéniture. Une cinquantaine d’entre eux se sont déplacés. « L’idée est de répondre aux questions qu’ils n’ont jamais osé poser. On veut leur montrer que l’université d’aujourd’hui n’est plus celle qu’ils ont connue », explique Delphine Boisdron, la chargée de communication. « L’accompagnement des étudiants fait partie de notre ADN », appuie Sabine Mallet, vice-présidente de l’université.

La prof de chimie rappelle qu’Angers et sa voisine Le Mans ont été lauréates en octobre 2017 d’un appel à projets pour l’accompagnement des étudiants, lancé par le ministère de l’enseignement supérieur, avec 13 millions d’euros à la clé. Une manne qui va permettre de recruter plus de personnel pour l’accompagnement pédagogique sur les dix prochaines années mais aussi de « réussir la transformation numérique ».

Aménagements horaires pour s’épanouir

Pour faire bonne figure, les parents sont reçus dans un bâtiment moderne et coloré, doté de mobilier confortable et d’écrans de dernière génération. Par petits groupes, on leur glisse entre les mains les tablettes tactiles avec lesquelles les étudiants assistent de manière interactive à certains cours, on explique les dispositifs de suivi de la scolarité, on soigne les témoignages : des profs enthousiastes et des étudiants ravis prennent tour à tour la parole. L’une est sportive de haut niveau, un autre a déjà créé son entreprise, tous bénéficient d’aménagements horaires pour s’épanouir. « On veut rassurer parents et lycéens au moment où ils vont avoir le choix. On essaye de dédramatiser, reprend Sabine Mallet. Si leurs enfants rentrent à l’université, ils seront aussi bien accompagnés, sinon mieux, qu’en classe prépa. »

Cette réunion, une première, s’appuie sur un constat national, inquiétant pour les facs : cette année, seuls 32 % des vœux d’orientation post-bac effectués sur la nouvelle plate-forme, Parcoursup, vont vers des filières non sélectives, le reste vise plutôt les BTS, les IUT, les classes prépas ou écoles, souligne la vice-présidente. Et pourtant, témoigne Alexandre Laurent, enseignant en statistiques « les étudiants qui se contentent d’écouter ou dorment pendant deux heures, c’est fini ».

Sophie et Vincent, couple de parents, font la moue, pas complètement rassurés. « C’est grand, ouvert, on a peur que notre fils se perde dans les cours, qu’il soit noyé dans la masse. Il va devoir faire le premier pas, et ça, c’est pas sûr du tout. » Kevin Chevalier, responsable d’Infocampus, service dédié à l’information des étudiants, tente de les rassurer : « Votre enfant va être sollicité. On va venir le chercher plein de fois. Les étudiants vont être réunis par petits groupes, avec une liste d’émargement pour justifier de leur présence ». Boursiers, attention, rappelle-t-il encore, le manque d’assiduité pourrait leur faire perdre l’avantage financier consenti par l’Etat.

Intelligence émotionnelle et qualités humaines

Dans un autre groupe, les parents se voient vanter le suivi du projet professionnel, le coaching, on parle d’intelligence émotionnelle, d’assessment center (évaluation des compétences) ou encore de soft skills (qualités humaines). Est aussi cité le portail d’insertion professionnelle (Ip’Oline), où les étudiants peuvent déposer leurs CV et les recruteurs leurs annonces. On y évoque également d’anciens étudiants prestigieux, comme Ludovic Simon, le fondateur de Doyoubuzz, un portail de CV en ligne qui compte 1,2 million de membres. Le slogan se veut percutant : « Ici, ils vont devenir quelqu’un, mais pas n’importe qui. »

Jean-Paul et Christel, parents de Pauline candidate à la fac de langues, sont bluffés. « Ils sont hyper assistés, c’est une PME. On ne voit que des gens dynamiques, c’est rassurant car l’université, c’est un monde qu’on ne connaît pas. » Karine, elle, ne connaît que trop bien et elle a un souvenir « horrible » de ses jeunes années à l’université de Nantes : « Les amphis étaient surchargés, l’accompagnement c’était un mot qui n’existait pas, je n’ai pas du tout aimé. » Aussi, quand son fils cadet a décrété qu’il voulait étudier l’histoire, les « vieux démons » sont ressortis de leur boîte. « Aujourd’hui, j’étais heureuse d’entendre ce qui a été dit, je suis réconciliée. Et pour moi, c’était important de verrouiller la chose. »

Yamina Chikh peut savourer le compliment. C’est elle qui est chargée de mission entre les lycées et l’université. « On s’investit dans des stratégies créatives pour être proches des réalités », dit-elle, loin des « idées reçues qui sont un peu vexantes ». Elle-même enseigne le management à l’université et a mis au point des escape games (jeux où il faut s’échapper d’un lieu fermé en résolvant des énigmes) pour jouer sur « la cohésion d’équipe et les compétences transversales ». Et le résultat, estime-t-elle, est éloquent : « Ce sont les équipes qui collaborent le mieux qui s’en sortent le plus rapidement. » Cette « opération séduction », souligne-t-elle encore, a été décidée bien avant les mouvements étudiants contre Parcoursup et les occupations d’universités, qui ont donné des images pas vraiment rassurantes pour les parents.

Même si l’initiative angevine n’a pas été un franc succès en termes d’affluence, ses organisateurs sont satisfaits : ils comptent la reconduire l’an prochain.