Ramatou Moussa n’en revient toujours pas : « C’est quelque chose de grandiose. On n’avait jamais vu ça avant. » Plus d’un an après son intronisation, cette dame enveloppée dans une longue robe noire et blanche, la tête couverte d’un voile noir, raconte avec émotion comment elle est « entrée dans l’histoire » en devenant l’une des premières femmes notables du Grand Nord, partie septentrionale du Cameroun regroupant trois régions à majorité musulmane.

« Le jour de notre intronisation, il y avait tellement de monde ! Des autorités et même le haut-commissaire du Canada au Cameroun, se souvient l’étudiante en droit public de 31 ans. Je voyais de l’étonnement, de la fierté et de l’admiration dans le regard des autres femmes et des petites filles. Les hommes n’en revenaient pas. »

Tout commence en octobre 2016 dans la région de l’Adamaoua. Le lamido de Banyo, Mohaman Gabdo Yaya, nomme à la surprise générale neuf femmes notables. Réputé pour son « esprit moderne », ce chef traditionnel, par ailleurs sénateur du parti au pouvoir, avait « beaucoup réfléchi à la question ». Durant des années, il s’est notamment posé celles-ci : pourquoi avoir si longtemps exclu les femmes ? Pourquoi toujours leur attribuer les « basses besognes » ? Et pourquoi leur refuser, « sans raison », le titre de notable ?

« Elles ne sont pas là pour amuser la galerie »

Au Cameroun, les notables jouent un rôle de premier plan dans les chefferies traditionnelles. Chez les musulmans, le conseil des notables, appelé « faada », prend des décisions en concertation avec le lamido. C’est à eux que revient, le plus souvent, la lourde charge de désigner le successeur du chef à sa mort. Et jusqu’en 2016, la faada avait toujours été constituée exclusivement d’hommes. Lorsqu’il a intronisé les premières femmes, le lamido Mohaman Gabdo Yaya a donc averti ses sujets : « Elles ont un rôle à jouer. Elles ne sont pas là à titre honorifique ou pour amuser la galerie. Elles sont notables, au même titre que les hommes. »

« Je suis allé à l’école avec des femmes qui étaient plus brillantes que moi, soutient l’homme, drapé dans une gandoura immaculée. Je recherche l’efficacité. Même pour leurs homologues masculins, je n’ai jamais voulu de notables qui défilent autour de moi à longueur de journée, comme à l’époque de mes ancêtres. Je veux qu’ils s’investissent dans des actions concrètes qui ont un impact sur notre société. »

Après ce « premier pas historique », d’autres lamidos ont emboîté le pas à Mohaman Gabdo Yaya. Aujourd’hui, dans les régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord, elles sont en tout 39 femmes notables, nommées à vie, aux profils divers (étudiantes, femmes au foyer, humanitaires…). Cependant, plusieurs chefferies n’ont pas suivi le mouvement. Ce qui ne décourage pas Françoise Baba, notable et présidente de l’Association des femmes et filles de l’Adamaoua (Affada), qui milite depuis plus de dix ans pour changer les conditions de vie de ses « sœurs et filles ».

Elle a sillonné presque toutes les chefferies du Grand Nord pour convaincre les lamidos d’associer les femmes aux postes à responsabilités de leurs localités. Certains chefs ont été réceptifs à son message, d’autres lui ont fermé leur porte. Une fois, elle a même dû fuir nuitamment un village sous la menace des hommes. « Je les comprends, car durant des siècles ils étaient les seuls notables dans le Grand Nord. C’est une première pour eux de voir des femmes à ce poste. Aujourd’hui, nous essayons de leur faire comprendre qu’on ne peut plus gérer notre société sans nous », dit-elle.

Sous-scolarisation, excision, mariages précoces

Depuis leur intronisation, ces nouvelles notables ont mis un accent particulier sur l’éducation, la santé et la culture. Elles travaillent en étroite collaboration avec des associations locales implantées dans les quartiers et mènent des actions de sensibilisation sur le terrain. Dans une région où les filles sont souvent mariées avant 15 ans et où le taux de scolarisation figure parmi les plus bas du Cameroun, les défis sont énormes : lutter contre la sous-scolarisation des jeunes filles, les mariages précoces, l’excision, les violences basées sur le genre, autonomiser les femmes…

Pour ces membres des faada, l’éducation est la clé. « Si une jeune fille est éduquée, elle saura défendre ses droits et ceux de ses enfants demain. Elle dénoncera son mari s’il la maltraite et dira non à l’excision et aux mariages précoces. Elle saura que vacciner ses enfants est une bonne chose », estime la notable Oumarou Djika, qui reçoit dans son domicile de Ngaoundéré, capitale de l’Adamaoua.

Leur atout maître : elles ont plus de facilités à entrer dans les foyers tenus par des femmes. Dans les maisons, à l’abri des regards, des épouses leur confient donc leurs problèmes et ceux de leurs enfants. « Elles savent que nous avons l’oreille du lamido et que nous pouvons les défendre contre leurs maris », explique Damarice Djondang, notable et secrétaire du lamido de Ngaoundéré.