Clothilde filmée à quelques années d’intervalle par Julie Gavras dans « Les Bonnes Conditions ». / KG PRODUCTIONS

Documentaire sur Arte à 23 h 20

A l’instar de Julie Gavras, les huit adolescents de son nouveau documentaire sont tous « fils ou filles de… » journaliste, ­bijoutier, médecin ou directeur ­financier. Nés avec « une cuillère d’argent dans la bouche », ainsi que l’exprime une des protagonistes, ils ont grandi dans le très chic 7e arrondissement de Paris, entre l’Assemblée nationale, Saint-Germain-des-Prés et les Invalides. Et comme la cinéaste et documentariste, ils ont fréquenté le lycée Victor-Duruy. De « bonnes conditions » donc pour entrer aisément dans la vie professionnelle et suivre un chemin tout tracé vers la réussite. A priori.

Or, c’est précisément pour s’attaquer à ce type d’idées reçues et de préjugés entourant ces enfants « biens nés » que Julie Gavras s’est lancée dans une entreprise de longue haleine. En effet, pendant treize ans, de 2003 à 2016, soit de leur entrée en classe de seconde à leurs premiers pas dans la vie active, la cinéaste a recueilli les témoignages de ces huit adolescents au socle social commun, mais aux profils bien différents.

Telle Constance, jeune fille affirmée dont l’assurance – au moins en apparence – contraste avec le caractère effacé d’Antoine. Ou Victor et Clothilde, qui appréhendent les études, et plus largement la vie, avec une légèreté toute festive ; au contraire de Christophe, appliqué à finir ses devoirs chaque soir pour se rassurer, comme à étouffer ses rêves de compositeur, pour rester dans le chemin du droit, filière qu’il apprendra malgré tout à aimer.

Une approche sobre

Passé les premiers instants, qui posent le cadre familial et les personnages, chaque personnalité se dévoile, prend du relief, s’affine autant qu’elle s’affirme au fil des mois, des années, des événements scolaires majeurs (bac, prépa, concours), des problèmes familiaux (décès, divorce) ou médicaux, voire des ruptures sentimentales – même si sur ce sujet la pudeur est de mise. Et malgré le poids des traditions familiales, des valeurs (argent, réussite, patrimoine…) qui les étouffent, les contraignent, voire conditionnent leur choix de vie pour certains d’entre eux.

Le temps long (découpé en trois parties), ajouté à une approche sobre – ils sont interrogés chez leurs parents, puis dans les studios ou appartements qu’ils occupent –, permet ainsi d’entrer peu à peu dans leur intimité. Et aussi de s’attacher même à ceux dont le parcours paraît sans aspérité. On pense à Antoine ou à Raphaël, le fort en math, dont la trajectoire parfaite qui le mène à Polytechnique n’en dissimule pas moins des interrogations sur la finalité de ses études et l’après.

Victor filmé à quelques années d’intervalle par Julie Gavras dans « Les Bonnes Conditions ». / © KG PRODUCTIONS

Filmés au plus près

Reste qu’au-delà de l’attachement que l’on éprouve pour Victoria, angoissée permanente dont la lucidité piquée d’humour n’a d’égale que les doutes qui l’assaillent ; pour Christophe, prisonnier d’une histoire familiale chaotique ; ou pour Marie, la musicienne, plus bohème que bourgeoise, l’une des grandes forces de ce documentaire tient dans la manière dont Gavras les filme, souvent au plus près. Avec une délicate attention portée aux visages, aux regards, aux traits de l’enfance et de l’adolescence qui s’estompent.

Chronique sociale émouvante et captivante, où se font entendre des voix qui cherchent autant qu’elles se cherchent, Les Bonnes Conditions sait aussi et surtout admirablement restituer par l’image le passage du temps, celui d’un âge à l’autre, avec ses rêves et ses illusions perdues.

« Les Bonnes Conditions », de Julie Gavras (Fr., 2017, 90min).