Cannes Classics

Un peu en avance sur la date, deux réalisatrices sont arrivées au Festival de Cannes pour célébrer le centenaire de la naissance d’Ingmar Bergman (le 30 juillet 1918) avec, pour cadeau, chacune un documentaire, tous deux projetés dans la section Cannes Classics. La Suédoise Jane Magnusson a présenté Bergman ett år, ett liv (Bergman, une année dans une vie), l’Allemande Margarethe von Trotta, Searching for Ingmar Bergman. Les deux films se recoupent parfois, mais la différence entre les regards des deux cinéastes que séparent la Baltique et un quart de siècle aboutit à peu près au même effet que le port de lunettes 3D : la haute et impressionnante figure de l’auteur du Septième Sceau prend un nouveau relief, plus humain.

Née en Suède en 1968, Jane Magnusson a grandi loin de son pays, a étudié aux Etats-Unis : « Quand je disais que j’étais Suédoise, on me renvoyait Ikea, Abba. Et on reconnaissait la grandeur de Bergman ». Le grand homme n’en est pas pour autant devenu une obsession, jusqu’au jour de 2004 où Jane Magnusson a voulu lui présenter son équipe masculine de natation synchronisée : « Nous avions donné aux figures que nous avions chorégraphiées les noms de films de Bergman : Les Fraises sauvages, L’Heure du loup. Quand j’ai appris qu’il avait une piscine dans la maison de l’île de Farö, je lui ai téléphoné pour lui proposer de venir y nager. Il m’a répondu qu’il ne laissait personne nager dans sa piscine ».

« Bergman adorait “Les Blues Brothers” »

Après la mort d’Ingmar Bergman, le 30 juillet 2007, Jane Magnusson a procédé à l’inventaire des quelque 1 700 cassettes VHS de sa vidéothèque et a demandé aux auteurs des films qui y figuraient ce que Bergman représentait pour eux. Raison pour laquelle on verra apparaître John Landis dans Bergman, une année dans une vie. « Bergman adorait Les Blues Brothers », dit la documentariste en riant. L’inventaire a donné lieu à une série, la série a engendré le film présenté à Cannes, qui tourne autour de l’année 1957, celle de la sortie du Septième Sceau, du tournage et de la sortie des Fraises sauvages et du tournage d’Au seuil de la vie. La même année, il dirige un téléfilm, des pièces radiophoniques et met en scène des œuvres théâtrales, dont Le Misanthrope et Peer Gynt.

« Avant, il n’était pas encore “Bergman”, fait remarquer Jane Magnusson. C’est en 1957 qu’il acquiert le statut qui sera le sien ». La réalisatrice est d’autant plus frappée par cette formidable productivité que la vie privée de l’artiste est chaotique, sa santé fragile. Sur tous ces thèmes, son film tire des fils imprévus qui mènent aussi bien aux sympathies nazies de Bergman avant et pendant la seconde guerre mondiale (dont il porta toujours le remords) qu’à la complexité parfois inquiétante des rapports avec les femmes, épouses, maîtresses, collaboratrices. Entre autres coups, Jane Magnusson a exhumé une interview du frère aîné de l’auteur de Cris et chuchotements, Dag, figure peu sympathique (il a, lui, dirigé le parti nazi suédois) qui réfute méthodiquement la version qu’Ingmar Bergman a donnée de son enfance dans son autobiographie Laterna Magica.

Le réalisateur Olivier Assayas dans le documentaire allemand et français de Margarethe von Trotta, « Searching for Ingmar Bergman ». / EPICENTRE FILMS

Vers la sphère privée

Margarethe von Trotta, née en 1942, figure du jeune cinéma allemand des années 1970, d’abord comme actrice, puis comme réalisatrice, a croisé le chemin d’Ingmar Bergman à deux reprises. En 1976, lorsqu’il a quitté Stockholm pour Munich après avoir été brièvement arrêté pour fraude fiscale, et en 1990 quand Bergman accepta de présider le jury de l’European Film Academy et y invita sa consœur. Son film est moins iconoclaste que celui de Jane Magnusson, même si Margarethe von Trotta y fait intervenir le plus anti-bergmanien des cinéastes suédois, Ruben Östlund, le réalisateur de The Square, Palme d’or à Cannes en 2017. S’attachant plus à l’œuvre, elle fait aussi parler Olivier Assayas, auteur d’un livre d’entretien avec Bergman.

Mais insensiblement, le film glisse vers la sphère privée. Alors que sa consœur suédoise se passionne pour Bergman l’amant, l’Allemande se tourne vers le père, le mauvais père qu’il a été. Dans Searching for Ingmar Bergman, c’est le fils, Daniel, également cinéaste (« Il n’a jamais accepté d’être interviewé », souligne la réalisatrice), qui apparaît, plutôt que le frère. Comme son oncle, il jette un éclairage cru sur l’emprise que les peurs et les douleurs de l’enfance ont exercé sur toute l’œuvre de Bergman.

Les deux documentaires sortiront en France à la rentrée, au moment où la Cinémathèque française célébrera le centenaire par une rétrospective intégrale des films d’Ingmar Bergman.

Lire aussi la critique d’un documentaire TV : « “Persona”, le film qui a sauvé Ingmar Bergman »

Sur le Web : www.festival-cannes.com/fr/festival/selection/cannes-classics/centenaire-ingmar-bergman