« Fortnite », jeu de tir-phénomène de l’année 2018, se veut fédérateur et léger. / Epic Games

« Mon fils de 9 ans me parle de ce jeu trop bien auquel joue le grand frère de son copain. Un jeu de tir ? Hors de question », jurait Atrayu, une maman de 37 ans. Quelques vidéos sur YouTube plus tard, elle est rassurée : Fortnite met en scène des armes, c’est vrai, mais au look cartoon. Le nouveau jeu vidéo à la mode ne comporte ni sang ni cruauté, mais de l’humour et un côté bac à sable – on peut bâtir murs et escaliers en pleine partie pour mieux s’enfuir ou se protéger. « C’est comme jouer au p’tit malin avec des pistolets à eau, toute la famille peut s’amuser sans risquer de faire des cauchemars », reconnaît-elle.

Voilà que Atrayu se laisse prendre à son tour et se mue en « maman gameuse », comme elle s’appelle. Côté pile, interdiction de jouer les jours d’école. Côté face, elle vise désormais les victoires en bataille royale, ce mode compétitif où 100 joueurs s’affrontent. « Ma meilleure partie, c’est ma première victoire avec deux éliminations réussies en équipe ! La prochaine étape, c’est le top 1 en solo, mais la route est encore longue quand on ne sait pas construire ! », prévient-elle.

FORTNITE Saison 4 Bande Annonce VF (2018)
Durée : 01:06

« Je fais un peu partie de mes étudiants »

La grande réussite de Fortnite, le jeu au plus de 45 millions de joueurs, c’est d’ores et déjà d’avoir réussi à faire cohabiter débutants absolus de la manette et vétérans de la mire. De 10 à 52 ans, collégiens comme professeure, ils ont été plus d’une centaine à répondre à l’appel à témoignages lancé par Le Monde au début du mois de mai pour comprendre les motivations de ses accros.

Beaucoup sont attirés par son aspect compétitif et son format original : « Le style de jeu “battle royale est excellent : 100 joueurs sur une île, tout le monde commence sans rien, le dernier debout gagne, raconte Ernest Oppetit, chef de projet de 27 ans à Londres. Il faut avoir un plan d’action, d’être discret, et il y a une vraie intensité quand on sait qu’on est parmi les derniers restants… »

Ce style de jeu, Fortnite ne l’a pas inventé. Il l’a chipé à Player Unknown’s Battlegrounds, jeu phénomène de 2017. Alexandre Bergonzo, 38 ans, habitué des jeux de tir, a essayé ce dernier sans être convaincu. « J’ai été très vite déçu par sa piètre réalisation et surtout pour son parti pris de jeu destiné au camping [le fait de se cacher et d’attendre] en solo », déplore-t-il. En revanche, il a apprécié le look plus « cartoonesque » et surtout l’action plus bondissante de Fortnite.

Une recette qui fédère

L’intensité ludique des parties fait l’unanimité. « Jamais un jeu vidéo ne m’avait autant procuré d’émotions – stress, joie, colère –, car en fait contrairement à d’autres jeux classiques, l’erreur est interdite, la sanction immédiate et il n’y a pas d’appel possible. Il faut être fin, prudent, stratège. Il y a un livre à lire pour être bon à Fortnite, c’est L’Art de la guerre” [de Sun Tzu] », plaisante Arnaud Legendre, qui évoque carrément le Graal que constitue une victoire en battle royale.

« C’est un jeu qui est unique à chaque partie. (…) De plus, l’adrénaline qui se produit quand on fait top 1 est inimaginable. C’est ça qui nous donne le goût de rejouer et rejouer, ce petit côté de hasard et de stratégie, car oui, il y a de la stratégie », souligne Emile, étudiant québécois de 17 ans. Il a commencé comme bien d’autres parce que le jeu est gratuit, avant de se laisser prendre au jeu de ses parties haletantes.

Pierre-Olivier, 49 ans, l’a découvert grâce ou à cause de ses deux fils, respectivement âgés de douze et quatorze ans et a été séduit lui aussi par tout ce que Fortnite permet. « A force, j’ai découvert l’immensité des possibilités. Le jeu laisse de la place pour seize tonnes de créativité dans les tactiques, pèse-t-il. Chaque partie, c’est une aventure différente. Côté tempo, je peux me la jouer Alien : si j’atterris sur une colline perdue, ce sera tout en lenteurs tendues, attentes, avec brusques et rares montées d’adrénaline… Si j’atterris dans une ville fréquentée, c’est parti pour l’action frénétique façon Cameron. »

Engouement médiatique

D’autres préfèrent l’approche Lego. Comme le dit Pierre-Loup, lycéen à Lille, une fois que l’on prend les commandes, c’est « place à l’imagination pour construire des tours, des défenses et se mouvoir à notre façon ». « Minecraft + Hunger Games : ça ne pouvait pas être mauvais », souligne Fernando Bejaran, 25 ans, ingénieur à Toulouse, qui cite deux jeux dans lesquels il est question de construction et de lutte pour la survie entre humains.

Et puis, il y a l’engouement médiatique, le fait que des stars de YouTube et Twitch s’y soient tous mis. Albet, collégien de quinze ans à Alfortville (Val-de-Marne), se remémore une partie en ligne où il s’est retrouvé par hasard dans la même équipe que Gotaga, l’une des stars françaises du jeu. Ils ont fini top 1 ensemble, la consécration.

Un engouement médiatique qui ne fait pas que des heureux, alors que certains y jouent déjà depuis l’automne 2017. Dorian, 18 ans, évoque désormais « un sentiment de lassitude et de dégoût ».

Il crée des liens insoupçonnés

L’intérêt du jeu tient aussi à la possibilité de jouer à quatre en équipe, en se parlant au micro. Fortnite, pour eux, c’est une aventure sociale conviviale. « Cela crée des expériences ensemble, et pendant les longues traversées de l’île, on a le temps de se donner des nouvelles », explique Ernest Oppetit. Dorian, 18 ans, se souvient de « fous rire et soirées inoubliables ».

Pour Maxime Delabrousse, 25 ans, qui réside à Buenos Aires, le titre fait même office de réseau social. « J’aime bien jouer à Fortnite non pas seulement pour son originalité, mais aussi pour jouer avec mes amis restés en France et discuter via Discord ou le service de discussion du jeu. Idem, je pratique mon espagnol en jouant sur le serveur sud-américain, et je flatte mon ego puisque le niveau y est moins fort ! »

Le jeu a même permis de créer des liens insoupçonnés. Marianne Souchon, professeure à Loudun, dans la Vienne, l’a découvert par l’entremise de son fils collégien. « Puis, je l’ai longuement entendu jouer en bande avec ses amis de la vraie vie, appris leur jargon, compris les stratégies à mettre en œuvre… Je l’ai parfois aidé quand, dans le feu de l’action, il perdait de la lucidité. Et j’ai eu envie d’essayer. » A 52 ans, elle empoigne pour la première fois la manette, apprend à ouvrir des coffres, construire des escaliers, viser les adversaires, se met à enchaîner les parties, jusque tard la nuit.

Jusqu’à surprendre ses propres étudiants un matin en pleine conversation, et à les épater à leur donner des conseils, eux qui ne s’attendaient sûrement pas à ce qu’une adulte joue au même jeu vidéo qu’eux. « Je fais désormais – un peu – partie de leur bande et cela facilite mon travail », se réjouit-elle.