Le groupe Soudan Célestins Music, à la Source des Célestins, à Vichy, le 29 juin 2017. / SANDRA MEHL POUR "LE MONDE"

C’était une journée de l’été 2016. Des représentants de quatre journaux européens, dont Le Monde, s’étaient réunis à Madrid, au siège du quotidien El Pais. Il était question de la crise migratoire, qui battait son plein. Le même jour, Maryline Baumard, notre envoyée spéciale sur l’Aquarius, ce bateau qui secourait les migrants au large de la Libye, comptait les morts découverts au fond d’un canot parmi 209 rescapés : 22 cadavres. Depuis le début de l’année, 3 000 migrants avaient péri en mer. L’émotion était grande, mais on sentait aussi les signes d’un raidissement. L’Allemagne allait connaître son premier attentat-suicide terroriste, perpétré par un réfugié syrien. Selon Thorsten Dörting, du Spiegel, la chancelière Merkel tenait bon, mais pourrait bientôt songer à refermer la porte ouverte aux migrants un an plus tôt.

La Grande-Bretagne venait de voter le Brexit, au terme d’une campagne où la peur des ­migrants avait joué un rôle prépondérant. Mark Rice-Oxley, le représentant du Guardian, était assailli de questions. Quelques mois plus tôt, l’historien Dominic Sandbrook avait publié dans le Daily Mail une tribune qui avait pour titre « Nous avons repoussé Hitler. Pourquoi nos faibles dirigeants ne peuvent-ils arrêter quelques milliers de migrants épuisés ? »

La France, quant à elle, retenait son souffle. Une semaine plus tôt, l’attentat de Nice avait glacé d’horreur le pays, et bien au-delà. Le drame pouvait favoriser Marine Le Pen, qui se voyait déjà engranger 30 % des voix au premier tour de la présidentielle du printemps suivant. Le gouvernement de François Hollande, lui, multipliait les effets d’annonce sur la « jungle » de Calais, sans grand effet.

Rien de spectaculaire

A Madrid, avec nos confrères étrangers, nous cherchions une autre manière de parler des migrants. Ne pas se fixer sur leurs mouvements d’est en ouest, du sud au nord. Percer le rideau de fumée des déclarations, des polémiques, de l’actualité éphémère. Raconter ce qui ne fait jamais les grands titres. En Allemagne et ailleurs, l’enjeu était désormais celui de l’intégration. Que se passe-t-il lorsqu’un réfugié pose sa valise ? Lorsque ses enfants in­tègrent l’école ? L’Europe qui a tant migré vers le Nouveau Monde, l’Europe qui vieillit sera-t-elle capable de se faire terre d’accueil ? Ceux qui la rejoignent sauront-ils l’enrichir ?

L’idée s’est imposée : chaque journal allait suivre, dès le printemps 2017, une famille nouvellement arrivée dans son pays. Le projet « The new arrivals/Les nouveaux arrivants », coordonné par le European Journalism ­Centre, allait durer plus d’un an.

Evidemment, rien ne s’est passé comme prévu. Quand un média raconte au jour le jour l’intégration d’un réfugié, il modifie sans le vouloir son destin. Certaines familles ont refusé de participer au projet. D’autres l’ont quitté en cours de route. Le Monde a connu plusieurs de ces déconvenues avant de trouver, à l’été 2017, le groupe des Soudan ­Célestins Music, à Vichy, et de l’accompagner pendant douze mois.

Dès lors, nous avons pris le temps d’appréhender la personnalité et l’histoire de chacun, suivi répétitions et concerts à Paris ou dans la région, raconté la recherche d’un appartement, d’une formation ou d’un emploi. Durant ces quelques mois, nous avons vu des réfugiés commencer à regarder autour d’eux, à s’installer dans une nouvelle vie, à apprendre le français. Rien de spectaculaire, mais c’est pourtant une véritable aventure humaine faite d’espoir et de volonté qui se déroule au ralenti des reportages et des portraits. Rien de spectaculaire, car l’intégration se construit pas à pas : c’est ce que nous a appris cet accompagnement au long cours, loin du bruit et de la fureur de la « crise migratoire ».

Le projet « The New Arrivals » (« les nouveaux arrivants »), auquel « Le Monde » participe avec « The Guardian », « El Pais » et « Der Spiegel », est financé par l’European Journalism Centre avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates.