Documentaire sur France 5 à 22 h 35

Paul Tibbets (au centre) devant le bombardier « Enola Gay » en août 1945. / HO/AFP

En ce 17 août 1942, il fait très beau sur la Normandie. Agé de 27 ans, Paul Tibbets, jeune pilote de bombardier américain aux commandes d’un B17, est à la tête d’une escadrille de douze appareils qui, entre 17 h 29 et 17 h 39, vont larguer cinquante-quatre bombes sur Rouen et sa proche banlieue. L’objectif visé est la gare de triage de Sotteville-lès-Rouen. Bilan : 53 civils et cheminots tués, 120 blessés. La plupart des bombes ont raté leur cible et aucune destruction d’intérêt militaire n’est enregistrée. Au sol, c’est la stupeur et l’épouvante : les alarmes sont demeurées muettes avant le déclenchement de la première attaque aérienne de l’US Air Force en Europe.

Tout juste rentré de mission, Tibbets est félicité et, devant une trentaine de journalistes, le général Eaker dresse un bilan très ­positif de l’opération. C’est à partir de ce raid sur Rouen que Roo­sevelt donnera son feu vert pour l’intensification des bom­bar­dements en plein jour et à haute altitude. Cette politique de destructions massives, qui s’améliore techniquement au fil du temps, va perdurer jusqu’aux raids atomiques sur Hiroshima puis Nagasaki, en août 1945.

« Cette mission à Hiroshima ne m’a jamais empêché de dormir. Pas une seule nuit ! » Paul Tibbets

Celui qui va larguer la bombe H sur Hiroshima le 6 août 1945, aux commandes du bombardier Enola Gay, n’est autre que Paul Tibbets, le même qui avait semé la terreur à Rouen. Des années plus tard, il avouera à son petit-fils, lui aussi pilote de bombardier : « Tu sais, cette mission à Hiroshima ne m’a jamais empêché de dormir. Pas une seule nuit ! » Entre Rouen et Hiroshima, Tibbets renforcera son expérience des bombardements à haute altitude avec des missions en Afrique. Avant de rentrer aux Etats-Unis pour travailler avec les techniciens de l’US Air Force et les ingénieurs de Boeing.

Classique dans sa forme mais passionnant dans son propos, ce documentaire coécrit par Nicolas Jallot et l’historien Paul Le Trevier fait témoigner des victimes des bombardements de Rouen et de Hiroshima. L’émotion est encore palpable, la douleur toujours présente. Les auteurs ont également réussi à faire parler le petit-fils de Paul Tibbets, qui évoque son grand-père avec fierté. Des archives filmées montrent comment le programme américain de bombardements massifs a été peaufiné au fil des mois. Dans la soute du B17 de Tibbets survolant la Normandie, il y avait à peine 1,5 tonne de bombes. Trois ans plus tard, dans celle de son B29 au-dessus de Hiroshima, une seule bombe, atomique et pesant près de 5 tonnes.

« C’est juste un autre décollage »

Entre Rouen 1942 et Hiroshima 1945, c’est toute la guerre aérienne américaine qui est décryptée. Basée sur trois piliers (agir de jour, à très haute altitude, avec une extrême précision), cette stratégie connaîtra quelques ajustements. Si, au début, ce sont des cibles militaires qui sont visées, la proximité géographique d’infrastructures civiles provoquera des destructions massives allant bien au-delà des objectifs fixés au départ. Dans ses Mémoires, Paul Tibbets évoque ses sentiments au petit matin du 6 août 1945 : « Ecoute Paul, me suis-je dit, c’est juste un autre décollage. Tu l’as fait tellement souvent, ce n’est pas un problème ! Mais j’étais en sueur et je repensais aux bombes que j’avais larguées sur Rouen lors de ma première mission en Europe… »

De Rouen à Hiroshima, la guerre en plein ciel, de Nicolas Jallot (France, 2015, 60 min).