Dimanche 20 mai, jour de la 46e fête nationale du Cameroun. A Tiko, ville du Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones du pays, les rues sont vides. Boutiques, bars et supérettes sont fermés. Sur le bitume, seules les voitures des forces de l’ordre roulent à vive allure.

Une jeune femme à la fenêtre de sa maison se désole : « A quoi bon participer à cette fête alors que des centaines d’anglophones sont morts et continuent de mourir ? L’ONU dit que 160 000 anglophones ont fui leurs villages. Ils continuent de fuir. Ce serait hypocrite de faire croire que nous sommes unis. Le pays est divisé. »

Tracts des séparatistes

Le 20 mai 1972, le Cameroun anglophone et le Cameroun francophone, qui formaient deux Etats fédérés, sont devenus par référendum la République unie du Cameroun. Mais depuis octobre 2016, les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui représentent environ 20 % de la population, sont secouées par une grave crise socio-politique.

Quelques jours avant cette fête dont le thème était « Citoyens camerounais, restons unis dans la diversité et préservons la paix sociale, pour un Cameroun stable, indivisible et prospère », les séparatistes anglophones, qui réclament l’indépendance de leur république autoproclamée, « l’Ambazonie », avaient distribué des tracts demandant à la population de ne pas participer à la fête et d’observer une journée ville morte.

« Si je reste à la maison, l’armée croira que je suis séparatiste. Si je sors, les ambazoniens croiront que je trahis la cause anglophone », soupire John. Josh, son ami, intervient : « Les ambazoniens luttent pour nous. Ils ne te font pas de mal quand tu respectes ce qu’ils disent. Quand l’armée vient dans nos maisons, elle nous arrête même si nous avons nos cartes nationales d’identité. Pour elles, nous sommes jeunes donc nous sommes des combattants séparatistes. » Comme la plupart des autres personnes rencontrées, Josh se dit « extrêmement malheureux » car « le gouvernement refuse de trouver une solution à la crise ».

Des snipers sur les toits

Avant d’atteindre Buea, capitale régionale du Sud-Ouest, à une quinzaine de kilomètres de Tiko, il faut traverser deux barrages de policiers et gendarmes. Certains viennent de Douala et de Yaoundé. Comme à Tiko, les rues de Buea sont désertes. « On dirait que c’est l’heure des fantômes », blague un jeune homme à la gare routière. La place du défilé est sous haute surveillance. Des snipers sont positionnés sur les toits et des dizaines de policiers et militaires patrouillent au sol.

La parade dure moins de deux heures. Les badauds qui s’agglutinaient les années précédentes aux abords de la place sont absents. Quelques participants au défilé appellent au « dialogue ». C’est le cas du lycée bilingue de Molyko, à Buea. « Le dialogue, un outil nécessaire pour la paix et l’unité », peut-on lire sur l’une de leurs pancartes. « Sans dialogue, on ne peut rien. Si on l’avait fait depuis le début, on n’en serait pas là aujourd’hui. Je suis triste et écœuré de voir des jeunes anglophones qui ne vont pas à l’école », dit un lycéen dans un français parfait.

Les membres du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), un parti d’opposition, défilent les mains sur la tête. Selon Georges Fanang, vice-secrétaire régional, ce geste montre qu’ils « en ont marre de cette crise qui perdure », « assez de voir des Camerounais tués ».

Le défilé boycotté

Au terme de la cérémonie, le gouverneur de la région et le maire de la ville ont vanté la « bonne tenue » du défilé, qui n’a pas été troublé par les menaces. Pourtant, au même moment, plusieurs localités du Sud-Ouest subissaient des attaques des sécessionnistes. Un maire et son adjoint ont été enlevés. Dans le Nord-Ouest, où selon des témoins des habitants ont boycotté le défilé, une source sécuritaire parle d’« au moins huit combattants terroristes tués » dans des affrontements avec l’armée.

« Le boycott par les populations anglophones de la fête du 20 mai, qui symbolise l’union entre les Camerounais anglophones et francophones, montre combien le pays est désormais divisé, commente Hans de Marie Heungoup, d’International Crisis Group. Ces attaques dans diverses localités en plein 20 mai, et ce malgré d’importants renforts sécuritaires, montrent que le tout-répressif ne parviendra pas à résoudre cette crise sociopolitique à laquelle s’est greffé un mouvement insurrectionnel»

L’analyste avertit sur les dangers de l’absence de dialogue : « A court terme, le risque est que les militants séparatistes accèdent à des financements et à un armement plus conséquents, ce qui hypothéquerait fortement la tenue de l’élection présidentielle [prévue en octobre] dans les régions anglophones. »