Elle fut une figure de l’émancipation des femmes, choyée dans les ambassades occidentales, mais son nom est désormais associé au « Cashgate », un détournement de 30 millions de dollars (environ 25 millions d’euros) de fonds publics au profit de hauts responsables de son pays. Fin avril, au terme de quatre ans d’exil, Joyce Banda est rentrée au Malawi.

Elle avait accédé au pouvoir en 2012 après le décès subit du président Bingu wa Mutharika, dont elle était la vice-présidente. Un intérim de deux ans dont elle vantait récemment le bilan à la chaîne américaine CNBC. Las, révélé en 2013, le scandale du « Cashgate » avait grandement contribué à sa défaite, l’année suivante, face à Peter Mutharika, frère du défunt président. Après le scrutin, alors que s’accéléraient les enquêtes, Joyce Banda s’était envolée pour les Etats-Unis.

Un scrutin « imprévisible »

Le 28 avril, des centaines de partisans vêtus de pagnes orange à son effigie sont venus l’accueillir à la descente de l’avion qui la ramenait d’Afrique du Sud, où elle avait assisté aux funérailles de Winnie Mandela. En revanche, aucun policier ne l’attendait sur le tarmac de l’aéroport de Blantyre, la capitale économique du Malawi, en dépit du mandat d’arrêt lancé contre elle par les autorités locales afin, disent certains observateurs, de garder à distance l’ancienne dirigeante alors que s’engage la bataille pour les élections présidentielle et législatives de mai 2019.

Pour le moment, Joyce Banda, 68 ans, reste énigmatique sur ses ambitions. « Est-ce que je laisse les jeunes prendre la relève ? Est-ce que je reste ? Cela doit être discuté au sein de mon parti », a-t-elle déclaré à l’AFP, avant d’ouvrir les perspectives : « Cette décision ne m’appartient pas […] C’est au peuple de décider. » À travers ces propos sibyllins, celle qui a fondé et préside toujours le Parti du peuple (PP) entretient sa réputation de démocrate : au Malawi, les partis doivent désigner leur candidat au cours d’une convention, prévue en août pour le PP.

Mais difficile de croire que cette femme politique qui, malgré les soupçons, conserve une certaine aura ne souhaite pas participer à une compétition présidentielle s’annonçant très ouverte. « Ce scrutin sera imprévisible, confirme Ernest Thindwa, professeur de sciences politiques à l’Université du Malawi. Le président Peter Mutharika n’est pas forcément en position d’être réélu. Beaucoup estiment qu’il a échoué. »

Bilan contesté du président sortant

Ce mécontentement s’est récemment exprimé dans la rue. Un fait rare au Malawi et qui témoigne d’un réel ras-le-bol, même si les citoyens, craignant la violence de la police (près de 20 personnes sont mortes lors des dernières manifestations, en 2011), n’étaient que quelques milliers à oser battre le pavé.

Premier grief des manifestants : la corruption. « Rien n’a été fait depuis l’élection de Peter Mutharika, alors que c’était sa principale promesse de campagne. C’est même pire qu’avant », déplore Billy Mayaya, l’un des militants à l’origine du rassemblement. Dernier scandale en date, révélé début 2018 : le projet du gouvernement de distribuer 4 milliards de kwachas (environ 4,6 millions d’euros) à des députés réfractaires à certaines réformes…

Pendant ce temps, le Malawi, pays pauvre et enclavé d’Afrique australe, progresse péniblement sur le front du développement. « Nous faisons face à une faillite des services publics, poursuit Billy Mayaya, évoquant notamment l’électricité et l’éducation. Au Malawi, les enfants continuent d’étudier sous des arbres, faute d’écoles. »

Le bilan de Peter Mutharika, 77 ans, est contesté au sein même de sa formation politique, le Parti démocratique progressiste (DPP), qui menace de lui préférer un autre candidat. Certaines attaques viennent même du clan familial. Callista Mutharika, veuve influente de Bingu wa Mutharika, a récemment déclaré que son beau-frère n’était « plus un homme bien », se prononçant en faveur de l’actuel vice-président, Saulos Chilima. Si ce dernier n’a pas encore dévoilé ses intentions, ce diplômé d’économie est, à 45 ans, « un homme jeune, perçu comme un réformateur », note un diplomate.

La grande inconnue des voix du Nord

Une troisième force politique, enfin, compte bien gagner la bataille de 2019 : le Parti du congrès du Malawi (MCP), qui a dirigé le pays pendant les trente années qui ont suivi l’indépendance de 1964, via le très autoritaire Hastings Kamuzu Banda (1966-1994). Sans que son leader, Lazarus Chakwera, soit très populaire, le MCP apparaît désormais comme une alternative.

« Même si Joyce Banda a de grandes chances d’être investie par son parti, je ne la vois pas gagner. Mais sa candidature aura un impact car elle prendra des voix à Mutharika », estime le professeur Ernest Thindwa, rappelant que le PP et le DPP partagent le même fief électoral dans le sud du pays, tandis que le centre est acquis au MCP.

La grande inconnue sera, comme à chaque élection, de savoir qui remportera les voix du nord du Malawi. Une région qui n’est acquise à aucun des trois grands partis et qui, si elle représente moins de 15 % des électeurs, peut faire basculer le résultat du scrutin.