Maya Jribi à l’Assemblée nationale constituante, le 8 décembre 2011, à Tunis. / FETHI BELAID / AFP

Elle fut assez seule dans les années 2000, aux côtés d’une scène dissidente assiégée par la police politique, à défier l’ex-régime de Ben Ali. Elle est aujourd’hui célébrée comme une icône nationale, encensée d’hommages les plus officiels. Maya Jribi, inlassable combattante pour la démocratie et les droits des femmes en Tunisie, est décédée samedi 19 mai, près de Tunis, à l’âge de 58 ans.

Petit bout de femme armée de solides convictions, elle s’était imposée dans les années précédant la révolution de 2011 à la tête du Parti démocrate progressiste (PDP), une formation d’opposition fondée par Nejib Chebbi, militant éprouvé qui fit ses premières armes au confluent du panarabisme et du maoïsme. Maya Jribi fera partie des opposants qui refusèrent jusqu’au bout d’être récupérés par le pouvoir malgré l’adversité. Le 14 janvier 2011, le jour de la chute de Ben Ali, une photo l’immortalise en pasionaria, frêle silhouette juchée sur une forêt de bras et d’épaules de manifestants rassemblés sur l’avenue Bourguiba à Tunis. Elle dessine de ses doigts le V de la victoire, épilogue d’un long combat.

« S’imprégner de la condition ouvrière »

Née le 29 janvier 1960 d’un père fonctionnaire originaire de Tataouine (sud tunisien) et d’une mère algérienne, Maya Jribi a entamé des études de biologie à l’université de Sfax après avoir échoué à entrer en médecine. Sur le campus, elle découvre le militantisme au sein du syndicat Union générale des étudiants de Tunisie (UGET), puis rejoint la section régionale de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH).

Nejib Chebbi, qui l’a repérée, l’associe à la fondation en 1983 du Rassemblement socialiste progressiste (RSP), formation qui deviendra le Parti démocrate progressiste (PDP) en 2001. C’était l’époque où la jeune militante de gauche souhaitait « s’imprégner de la condition ouvrière ». Elle cherche à « s’établir » en usine, mais échoue à se faire embaucher.

Au moment où elle pense pouvoir enfin décrocher un emploi de coursière dans une société de services à Tunis, elle croise sur place, par le plus grand des hasards, Hassib Ben Ammar, le patron de l’hebdomadaire indépendant Er-Raï (L’Opinion), qui l’enrôle comme journaliste. Elle rejoindra ensuite la rédaction d’Al Mawkif, l’organe du RSP. Elle ne fait toutefois pas carrière dans le journalisme. Polyvalente, elle travaillera aussi pour l’Unicef, mais surtout pour l’Institut El Amouri, un bureau d’études où elle s’illustra en développant les études qualitatives.

Dans les années 2000, Maya Jribi vit aux premières loges l’évolution du paysage de l’opposition. Eparse, éclatée, celle-ci est notamment affaiblie par l’héritage de la querelle historique entre islamisme et extrême gauche. Certaines de ses figures s’emploient à surmonter la fracture. Le 18 octobre 2005, Nejib Chebbi lance avec sept autres militants une grève de la faim pour revendiquer les libertés publiques alors que se tient à quelques encablures le Sommet mondial des sciences de l’information où le régime de Ben Ali se met en scène.

Elue à l’Assemblée nationale constituante

Grande première, le Collectif du 18 octobre, qui se structurera autour de cette grève de la faim, rassemble toutes les tendances de l’opposition, gauche et islamisme confondus. Maya Jrebi s’active dans les coulisses du mouvement. « Elle défendait toutes les victimes de la répression, y compris les islamistes », souligne l’universitaire Larbi Chouikha.

Deux ans plus tard, alors qu’elle occupe les fonctions de secrétaire générale du PDP, c’est elle qui entre en grève de la faim aux côtés de Nejib Chebbi. Les deux dirigeants protestent contre la résiliation du bail de l’appartement où le parti avait établi son siège. « Ils ont le visage émacié et les yeux creux. Lui, longue silhouette très maigre. Elle, poids plume (43 kg) et allure d’adolescente » : ainsi l’envoyée spéciale du Monde, Florence Beaugé, les décrivait-elle dans un article consacré à leur grève de la faim (Le Monde daté du 19 octobre 2007).

Pouvaient-ils imaginer que le régime de Ben Ali était en train de se décomposer, processus qu’accélérera plus tard le soulèvement du bassin miner de Gafsa au printemps 2008 ? Au lendemain de la révolution de 2011, Maya Jribi est élue à l’Assemblée nationale constituante (ANC) sous l’étiquette du « groupe démocratique », une coalition d’ex-opposants.

Lors des fiévreux débats sur l’adoption d’une nouvelle Constitution, elle s’oppose vertement aux islamistes d’Ennahda. « Elle tenait à inscrire l’identité arabo-musulmane de la Tunisie dans une perspective progressiste, explique le journaliste Rachid Kechena, l’un de ses compagnons de lutte. Pour elle, il n’y avait aucune contradiction. »

Un an plus tard, elle est élue secrétaire générale d’Al Jombhouri (Parti républicain), né de la fusion du PDP et d’autres formations. Mais ce nouveau mouvement peine à s’imposer alors que la vie politique tunisienne se polarise autour de l’affrontement entre partisans et adversaires de l’islam politique. Affaiblie par la maladie, Maya Jribi va progressivement s’effacer de la scène publique.