Alicia Garcia Herrero, le 3 octobre 2011. / Hannahwang0114/(CC BY-SA 4.0)

Pékin et Washington sont parvenus dimanche 20 mai à un accord de principe pour réduire le déficit commercial américain. Une trêve qui écarte la menace d’une guerre commerciale mais dont les conséquences risquent d’être négatives pour les Européens, selon Alicia Garcia-Herrero, économiste spécialiste de la Chine chez Natixis.

Les Européens sont-ils les perdants de l’accord entre la Chine et les Etats-Unis, comme s’en est ému le ministre français des finances, Bruno Le Maire ?

Certainement. D’ailleurs, une raison pour laquelle la Chine a préféré ne pas quantifier les engagements qu’elle a pris auprès des Etats-Unis, c’est parce que d’autres pays risquent de s’en plaindre, notamment en Europe. Mais elle va effectivement devoir accroître ses achats de marchandises américaines et, très vraisemblablement, dans des secteurs qui comptent pour les Européens. La Chine ne pourra pas corriger le déséquilibre de la balance commerciale avec les Etats-Unis en se contentant d’importer davantage de soja américain. Il y aura de gros contrats. Je pense par exemple à l’aéronautique, qui est très largement dominé par des entreprises publiques en Chine. Déjà 69 % des importations chinoises viennent des Etats-Unis et cela pourrait augmenter encore, au détriment d’Airbus. On peut aussi penser au secteur pharmaceutique. La Chine vient de libéraliser le marché du médicament. Aujourd’hui, les Européens, notamment le Royaume-Uni, exportent beaucoup. Mais les Américains devraient profiter plus que les autres de l’ouverture de ce marché.

L’Europe avait-elle une chance de jouer la médiatrice dans cette bataille commerciale ?

Pas vraiment et cela aurait été un peu naïf de le croire. Un accord multilatéral n’intéresse ni les Etats-Unis ni la Chine. Et puis les relations sont aussi tendues avec l’Europe. Par exemple, Pékin vient de recevoir une lettre signée par des ambassadeurs européens sur place qui exprime leur méfiance vis-à-vis du projet des routes de la soie. Il y a aussi la querelle en cours sur le statut d’économie de marché que l’Union européenne n’a pas voulu lui accorder. En fin de compte, la Chine n’a jamais cru que les Européens puissent négliger l’alliance transatlantique pour travailler avec elle face aux Américains.

L’accord entre Washington et Pékin ne règle pas vraiment le fond du problème. Se peut-il que la même bataille se rejoue très rapidement ?

Il est clair que les Etats-Unis ont raté une occasion de pousser la Chine à faire des réformes pour devenir une économie plus ouverte. Ils ont obtenu de pouvoir exporter davantage, mais selon des critères qui sont même contraires à l’économie de marché : Pékin est incité à acheter des produits américains dans le cadre d’un accord et pas selon les règles de la concurrence.

Donald Trump a gagné une bataille mais il s’agit d’une solution de court terme. Entre-temps, la Chine a pris davantage conscience de son isolement et de la nécessité d’arriver encore plus vite à l’indépendance technologique. En conséquence, il y aura sans doute une recrudescence d’acquisitions chinoises d’entreprises européennes, puisque ces opérations sont difficiles voire impossibles à mener aux Etats-Unis, au Japon ou en Corée du Sud. Voilà à quoi l’on peut s’attendre de la part de la Chine dans les prochains mois : plus d’achats aux Etats-Unis et plus d’acquisitions en Europe.