La réalisatrice Arantxa Echevarria (« Carmen y Lola ») sur l’une des terrasses du Palais des festivals, le 15 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Girl, de Lukas Dhont ; Sauvage, de Camille Vidal-Naquet ; Diamantino, de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt ; Plaire, aimer et courir vite, de Christophe Honoré ; Rafiki, de Wanuri Kahiu ; Un couteau dans le cœur, de Yann Gonzalez ; Cassandro the Exotico !, de Marie Losier ; Carmen y Lola, d’Arantxa Echevarria, et la liste n’est pas terminée… De nombreux films, centrés sur les questions liées au genre et à l’homosexualité, ont été programmée dans les différentes sections cannoises, pour cette 71e édition.

Le jury de la Queer Palm, créée en 2010, présidé cette année par la productrice Sylvie Pialat, n’avait que l’embarras du choix. Girl, un film sur la transition sexuelle d’un jeune danseur vers le sexe féminin, qui a bouleversé les festivaliers, a décroché cette récompense, tandis que son réalisateur, Lukas Dhont, a reçu la Caméra d’or remis par le jury de la compétition offcielle, et son comédien principal, Victor Polster, le prix d’interprétation d’Un certain regard.

GIRL Bande Annonce (Cannes 2018) Film Adolescent
Durée : 02:56

Une double tendance est en cours : non seulement ces films « LGBT » (lesbien, gay, bi, trans) sont de plus en plus nombreux à Cannes et dans les autres grands festivals, mais ils sont régulièrement primés. En 2017, 120 battements par minute, de Robin Campillo, en compétition officielle, a obtenu le Grand Prix ainsi que la Queer Palm. La projection de ce film sur les années de lutte d’Act Up contre le sida, qui a décimé la population gay dans les années 1990, est restée parmi les moments les plus forts de l’édition 2017. On peut également citer, les années précédentes, La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, Palme d’or en 2013, L’Inconnu du lac (2013) puis Rester vertical (2016), d’Alain Guiraudie, Les Vies de Thérèse (2016) de Sébastien Lifshitz, etc.

« Un manque de considération certain »

La Queer Palm se trouve à un tournant. Ce prix désormais très attendu n’est pas reconnu officiellement par le Festival de Cannes et son délégué général, Thierry Frémaux. Cannes n’est pas Berlin. A la Berlinale, les Teddy Awards existent depuis 1987 et font partie intégrante du palmarès. Ces Teddy, qui ont la forme d’un ours en peluche, récompensent des fictions, des documentaires et des courts-métrages évoquant l’homosexualité. Pedro Almodovar et Gus Van Sant en ont été les premiers lauréats.

Les membres du jury de la Queer Palm 2018, de gauche à droite : son fondateur Franck Finance-Madureira ; le réalisateur Morgan Simon ; l’actrice Dounia Sicho ; la productrice et présidente de ce jury Sylvie Pialat ; le producteur Pepe Ruiloba ; le scénariste Boyd van Hoeij, lors de la montée des marches du film de Yann Gonzalez, « Un couteau dans le cœur », au 71e Festival de Cannes, le 17 mai. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP

Le fondateur de la Queer Palm, le journaliste Franck Finance-Madureira, résume la situation. « On ne reçoit aucun soutien financier, ne serait-ce que pour payer le transport et le logement des membres du jury. Il y a un manque de considération certain », regrette-t-il. « Notre lutte est pourtant reconnue par le gouvernement, avec la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Mais aux yeux du Festival, on n’existe pas ».

Franck Finance-Madureira, fondateur de la Queer Palm : « Quand je suis invité dans les festivals à l’étranger, d’une façon indirecte, je représente Cannes »

Franck Finance-Madureira souligne ce paradoxe. « Quand je suis invité dans les festivals à l’étranger, d’une façon indirecte, je représente Cannes. Ce serait valorisant et moderne pour l’image du Festival de s’impliquer. On pourrait organiser une tournée de tous les festivals LGBT avec le vainqueur de la Queer Palm », poursuit-il, citant, entre autres, le festival Outfest à Los Angeles, le Framelime à San Francisco, et d’autres à Tel-Aviv, Turin, etc. Il a tout de même été reçu par le président du Festival, Pierre Lescure, lequel avait donné son accord pour la création de La nuit gay sur Canal+, en 1995, lorsqu’il en était le patron.

D’autres alliés sur la Croisette

Certes, quelques rapprochements ont eu lieu : depuis deux ans, le jury de la Queer Palm monte les marches le soir où un film LGBT est projeté en compétition. Cette année, ce fut le jeudi 17 mai, le soir de la « première mondiale » du film de Yann Gonzalez, Un couteau dans le cœur, avec Vanessa Paradis. Sur la Croisette, la Queer Palm a d’autres alliés, souligne Franck Finance-Madureira : « La Semaine de la critique est très queer-friendly. Et Unifrance, qui a pour mission d’exporter le cinéma français à l’étranger, accueille désormais une rencontre du marché queer ». Depuis cette année, la société Titra-Film dote le long-métrage lauréat de la Queer Palm d’un montant de 10 000 € – pour le sous-titrage –, et le court-métrage gagnant de 3 000 €.

A ceux qui estiment que les récompenses « queer » n’ont plus vraiment de raison d’être, du fait de la « banalisation » des questions gay et trans, Franck Finance-Madureira répond ironiquement : « Dans 300 ans peut-être Mais aujourd’hui, il y a encore la peine de mort pour les homosexuels dans presque vingt pays. Les récompenses queer permettent aux films de circuler dans les festivals, et de porter dans le monde ces questions politiques d’égalité ».