Guerrero, après un but contre la Colombie, en octobre 2017. / RODRIGO ABD / AP

Tout le monde veut que la star du football péruvien Paolo Guerrero joue la Coupe du monde en Russie : ses coéquipiers, ses compatriotes, son gouvernement, et même ses adversaires sur le terrain. Le seul obstacle pour que le capitaine de l’équipe du Pérou dispute le premier Mondial de sa carrière, et le premier de son pays en trente-six ans, est une suspension de quatorze mois pour dopage, confirmée la semaine dernière par le Tribunal arbitral du sport (TAS).

Cette décision sans appel possible n’a fait qu’alimenter une mobilisation désormais internationale pour sauver le joueur, dont la suspension est considérée au mieux comme totalement disproportionnée, au pire comme un scandale international.

Le point culminant de l’affaire a eu lieu mardi 22 mai à Zurich, en Suisse. Guerrero et le président de la Ligue de la Fédération péruvienne de football (FPF), Edwin Oviedo, ont fait le voyage pour plaider directement devant le président de la FIFA, Gianni Infantino. L’espoir est de sortir du rendez-vous avec une amnistie. Il est mince.

Dans cette quête, le capitaine péruvien a obtenu l’aide improbable des capitaines des équipes que le Pérou affrontera dans le groupe C. Le Danois Simon Kjaer, l’Australien Mile Jedinak et le Français Hugo Lloris se sont joints au Syndicat des joueurs professionnels (Fifpro) pour demander à la FIFA que Guerrero soit « autorisé à conduire sa nation et à célébrer ce qui sera un des plus beaux moments de sa carrière ».

Les arguments alternent entre l’émotionnel…

« Le Pérou est de retour au plus haut niveau du football après une absence de trente-six ans (…) de notre point de vue ce serait une erreur manifeste de l’exclure de ce qui devrait être le pinacle de sa carrière, une réalisation pour laquelle il a travaillé si fort et durant tant d’années. »

… et le factuel :

« Aussi bien la FiFA que le TAS ont reconnu que Guerrero n’avait pas volontairement ingéré la substance et qu’il n’y avait pas d’effet d’amélioration de la performance. Le fait qu’il ait été sanctionné d’une punition si dommageable pour sa carrière défie donc l’entendement. »

La « substance » en question est la benzoylecgonine, le principal métabolite de la cocaïne, détectée le 5 octobre 2017 lors d’un contrôle après un match de qualifications contre l’Argentine. Le joueur assure qu’il ne s’agit pas de cocaïne mais de résidus de feuilles de coca dans une tasse de thé qu’il a utilisé avant le match.

Dans un premier temps, la FIFA l’a suspendu un an avant de réduire la sanction à six mois, ce qui aurait permis à Guerrero de revenir sur les terrains avant le Mondial. Mais les avocats du joueur et l’Agence mondiale antidopage (AMA) ont chacun fait appel : les premiers pour que la sanction soit annulée, les seconds pour que la durée de la suspension soit rétablie à un an. Le TAS a décidé d’aller plus loin : ce sera quatorze mois, tout en reconnaissant que le produit n’a pas pu améliorer sa performance sur le terrain. Les décisions du TAS ne sont pas sujettes à appel, hormis devant la justice extrasportive.

Sauver le « Prédateur »

Au Pérou, le sort fait à Paolo Guerrero est vécu comme une immense injustice. Depuis sa qualification pour la Coupe du monde, la première depuis 1982, le pays est tout entier tourné vers la compétition. En apprenant la semaine dernière que leur meilleur buteur international en était privé, l’avenir du « Prédateur » est devenu une cause nationale.

Plusieurs milliers de personnes ont défilé, dimanche 20 mai, dans Lima, la capitale du pays, pour soutenir le capitaine déchu. La foule s’était d’abord rassemblée autour de la maison de la mère de Guerrero, dans la banlieue de Chorillos, avant de se diriger, famille du martyr en tête, vers l’Estadio nacional. Les couleurs étaient le rouge et le blanc de la selección et le nom du rassemblement un très sobre : « Le monde entier veut Paolo Guerrero au Mondial de Russie 2018 ».

Le Pérou se remet difficilement de la crise politique provoquée par la démission de son ex-président Pedro Pablo Kuczynski en mars. Le nouveau président, Martin Vizcarra, a quand même promis que tous les moyens de l’Etat seraient à disposition pour aider Guerrero, « car nous avons l’obligation de soutenir tous les Péruviens à l’étranger, d’autant plus lorsqu’il s’agit de notre capitaine qui nous a tant donné ».

Le voyage de Guerrero en Suisse est suivi en temps réel au pays. On peut se brancher sur le compte Twitter de la Fédération pour constater son départ ou son arrivée, ou sur les médias (41 articles sur le sujet en quarante-huit heures dans le seul journal La Republica) pour apprendre qu’il a raté sa correspondance à Amsterdam. Avant de vivre le dénouement de son affaire, Guerrero a enregistré une vidéo (vu près de 900 000 fois en à peine vingt-quatre heures) pour remercier ses soutiens et dire :

« Un espoir est apparu de jouer le Mondial. C’est mon grand rêve (…). J’espère revenir avec une bonne nouvelle. »

Ses avocats ont laissé entendre que si la rencontre avec Gianni Infantino ne donnait rien, ils se réservaient le droit de saisir directement la justice suisse dans l’espoir d’obtenir la suspension de la décision du TAS avant le 4 juin, date limite pour qu’un joueur intègre sa sélection avant le début de la Coupe du monde, le 14 juin.