Graffiti du street-artiste Tvboy, représentant le dirigeant du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, embrassant le chef de file de la Ligue, Matteo Salvini. A Rome, le 23 mars. / TIZIANA FABI / AFP

Finalement, c’est lui qui avait vu juste. Dans la nuit du 22 au 23 mars, sur les murs d’une petite rue du centre de Rome, Salvatore Benintende, connu dans le milieu du street art romain sous le nom de Tvboy, dessine un baiser langoureux entre le dirigeant de la Ligue, Matteo Salvini, et celui du Mouvement 5 étoiles (M5S), Luigi Di Maio, dressé sur la pointe des pieds.

Le moment n’est pas choisi au hasard : quelques heures plus tard, les Chambres nouvellement élues vont commencer leurs travaux, si bien que de nombreux photographes, présents aux abords du Parlement, ont le temps d’immortaliser son œuvre avant qu’elle soit effacée par les services de propreté de la ville. Instantanément, l’image est reprise partout, comme une provocation artistique un peu potache, mais aussi comme métaphore d’une possible alliance qui épouvante l’Europe.

Les positions des deux dirigeants « antisystème » paraissent, alors, encore bien éloignées. Et pourtant… moins de deux mois après, la coalition entre la Ligue (droite souverainiste) et le Mouvement 5 étoiles a bel et bien vu le jour. Et les deux jeunes dirigeants, avec moins de tendresse et beaucoup plus de calcul que ne l’annonçait l’œuvre de Tvboy, se sont découvert des affinités, au point de décider de faire un bout de chemin ensemble.

Lundi 21 mai, Luigi Di Maio et Matteo Salvini sont montés sur la colline du Quirinal pour présenter au président Sergio Mattarella le « contrat pour un gouvernement de changement », qu’ils ont négocié ensemble, et l’équipe dirigée par le juriste Giuseppe Conte, qu’ils ont choisie pour le mettre en œuvre. Le chef de l’Etat s’est réservé une nuit de réflexion supplémentaire et devait rencontrer, mardi matin, les présidents des deux Chambres, Maria Elisabetta Casellati (Forza Italia, Sénat) et Roberto Fico (M5S, Chambre des députés), avant de faire connaître sa réponse.

Solidarité inébranlable

Dirigeants de partis que tout devrait opposer, Luigi Di Maio et Matteo Salvini affichent désormais une solidarité inébranlable. Et si leur entente apparaît aujourd’hui si évidente, il y a quelques mois encore, elle ne semblait pas aller de soi.

Né en 1986 à Avellino (Campanie), Di Maio a grandi à Pomigliano D’Arco, une petite ville plutôt prospère des environs de Naples, dans une maison posée au bord d’une route menant au Vésuve, au sein d’une famille de la petite bourgeoisie campanienne. En 2013, il vivait encore chez ses parents lorsque les premiers succès du Mouvement 5 étoiles le portent à la Chambre des députés, à moins de 27 ans.

Nommé vice-président de la Chambre, il parvient en quelques mois à se couler dans les habits d’un parlementaire chevronné, à mille lieues des vociférations de Beppe Grillo. En parole, il se veut « antisystème », mais, de son discours stéréotypé à ses sempiternels costumes, tout chez lui transpire la soif de respectabilité et le besoin de reconnaissance. Luigi Di Maio a certes des origines populaires, et ses adversaires, avec un évident mépris social, se plaisent à souligner ses fautes de grammaire et la minceur de son CV, mais c’est le dernier responsable politique italien à ne jamais apparaître sans cravate.

Matteo Salvini a une bonne dizaine d’années de plus. Il préfère les codes vestimentaires du stade San Siro aux costumes chics milanais et a construit tout son parcours autour de ce personnage d’enfant turbulent, qui, à coups de provocations, a réveillé une Ligue du Nord minée par les luttes d’appareil et les affaires de corruption. Pourtant c’est un enfant de la bourgeoisie lombarde, fils de dirigeant d’entreprise, qui a étudié au très convenable lycée Alessandro-Manzoni, en plein centre de Milan. Et malgré son style volontiers débraillé et ses efforts pour poser au jeune père de famille comme les autres, sa langue et sa diction trahissent, presque malgré lui, ses origines et sa parfaite éducation bourgeoise.

Souplesse idéologique

Au soir du 4 mars, Di Maio et Salvini se sont retrouvés dans la peau des grands vainqueurs : avec plus de 32 % des voix, le Mouvement 5 étoiles devenait le premier parti d’Italie, tandis que la Ligue l’emportait nettement sur les partisans de Silvio Berlusconi, et, avec plus de 17 %, devenait la force dominante d’une coalition de droite totalisant, de son côté, plus de 37 % des suffrages. Aucun camp n’ayant obtenu de majorité, la recherche d’alliances était obligatoire, mais les positions de chacun semblaient parfaitement inconciliables, d’autant que la Ligue de Matteo Salvini était organiquement liée à un parti, Forza Italia, avec lequel le M5S refusait de discuter.

La droite et le M5S parviennent tout de même à se mettre d’accord pour se répartir les présidences des deux Chambres, le 24 mars, et durant les tractations Matteo Salvini et Luigi Di Maio se découvrent une certaine facilité à discuter ensemble. Début mai, Matteo Salvini parvient à faire sauter l’obstacle Berlusconi, sous la menace d’un retour aux urnes annoncé désastreux pour son parti. Les tractations débouchent sur un « contrat » dévoilé le 18 mai, qui constitue plus une compilation des mesures voulues par chacun qu’un projet politique articulé.

Dans les négociations, Salvini et Di Maio ont une fois de plus démontré leur déconcertante souplesse idéologique et semblent s’être découvert, malgré l’ampleur de ce qui les sépare, une estime réciproque. Bien sûr, leur alliance ne peut durer qu’un temps : comment concilier, à terme, la révolte fiscale du nord du pays avec les appels au secours d’un Sud délaissé, les intérêts des plus riches et ceux des laissés-pour-compte ? Mais, pour l’heure, l’important est de faire table rase. Matteo Salvini et Luigi Di Maio le peuvent d’autant plus facilement qu’ils disposent d’un ennemi commun : l’Europe de Bruxelles.