Giuseppe Conte, le 23 mai 2018, au palais du Quirinal, à Rome. / VINCENZO PINTO / AFP

Voilà une semaine, il n’était qu’un illustre anonyme. Même l’imagination prodigue des scénaristes de l’âge d’or de la Cinecitta n’aurait pu anticiper que ce très lisse juriste de 53 ans, discret et élégant, puisse devenir le nouvel homme fort de la scène politique italienne. Mais Giuseppe Conte a bien été nommé, mercredi 23 mai, président du Conseil italien, au terme d’un feuilleton politique qui dure depuis plus de deux mois.

Enfant du sud de l’Italie, Giuseppe Conte est né le 8 août 1964 à Volturara Appula, un petit village de cinq cents âmes niché dans la campagne des Pouilles. Fils d’un fonctionnaire de la mairie et d’une institutrice, le jeune homme est diplômé, en 1988, de la prestigieuse université romaine, La Sapienza. Il suit ensuite un parcours académique international exemplaire – sans doctorat toutefois –, se spécialisant dans le droit privé, qu’il enseigne aujourd’hui dans une chaire à l’université Luiss, à Florence. Ses collègues, interrogés par la presse italienne, le décrivent comme un professeur « appliqué, passionné, à l’écoute et discret ».

Un curriculum vitæ qui fait débat

De lui, on ne connaît d’ailleurs pas beaucoup plus qu’un curriculum vitæ (CV) – un document long de dix-huit pages transmis en début de semaine par la nouvelle coalition gouvernementale jaune-vert, formée par le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Luigi Di Maio et la Ligue de Matteo Salvini. Une litanie sans fin d’universités avec lesquelles il a collaboré, ainsi que de nombreuses publications juridiques dont il est l’auteur.

On y lit que l’homme a également été membre du conseil d’administration de l’Agence spatiale italienne, consultant juridique de la Chambre de commerce de Rome, ou encore membre du comité de surveillance de plusieurs sociétés d’assurances en faillite.

Mais même ce seul document a provoqué la polémique. Passé au crible par des journalistes avides d’en savoir plus à propos de ce candidat inattendu, le New York Times, qui décrit l’intéressé comme « porté sur les boutons de manchette et les mouchoirs blancs », affirmait que l’université de New York, dont le professeur prétendait avoir suivi des cours d’été, n’avait pas trace de lui dans ses archives. Dans les heures qui suivent parviennent d’autres démentis, de l’université Duquesne de Pittsburgh, de l’université de Malte, de l’Internationales Kulturinstitut de Vienne. Poursuivant la lecture de son CV, on apprend que l’universitaire aurait été désigné comme expert au sein d’un « Social Justice Group » de l’Union européenne, qui n’existe tout simplement pas.

Cette accumulation de mensonges serait déjà accablante en soi, mais les ennuis du professeur Conte ne s’arrêtent pas là. Plus tard dans la journée, on apprenait qu’en 2013 le juriste avait, à titre gracieux, assuré la défense des intérêts des parents de la petite Sofia, une enfant malade dont la famille voulait obtenir le droit de la faire soigner selon la prétendue « méthode Stamina », développée par le professeur Vannoni, qui s’était révélée être une vaste escroquerie scientifique. Un élément biographique troublant qui apparaît parfaitement en ligne avec les conceptions antiscientifiques du M5S, proche depuis des années des mouvements « no vax » opposés au principe de la vaccination obligatoire.

Technocrate jamais élu, proche du Vatican

Réagissant à chaud à l’accumulation de ces accusations, le chef politique du M5S, Luigi Di Maio, a pris la défense de Giuseppe Conte : « Ils ne savent plus quoi inventer », a-t-il rétorqué. C’est que Giuseppe Conte, proche du leader du Mouvement 5 étoiles, semble être la seule personnalité à avoir obtenu l’assentiment de la Ligue, tout en acceptant d’occuper un poste dont la plupart des prérogatives ont été rognées, se contentant d’appliquer un programme à la conception duquel il n’a pas été associé.

Comment expliquer, dès lors, que Giuseppe Conte entre en politique par la grande porte du Palazzo Chigi ? Par le passé, l’universitaire a dit avoir eu « plutôt le cœur à gauche », mais était toujours resté loin de la politique. Jamais élu, il est l’un de ces technocrates pourtant tant décrié par les deux formations politiques populistes. Ce n’est d’ailleurs que pour les élections du 4 mars qu’il avait fait campagne pour le M5S, s’impliquant tant qu’il avait été présenté comme possible ministre chargé de « débureaucratiser » la fonction publique.

« Une force politique doit être capable d’élaborer un programme utile pour les citoyens », confiait récemment Giuseppe Conte au Fatto Quotidiano, se disant séduit par le côté pragmatique du Mouvement 5 étoiles.

« Aujourd’hui, je pense que les schémas idéologiques des années 1900 ne sont plus pertinents. Je crois qu’il est plus important d’évaluer le travail d’une force politique sur son positionnement par rapport aux droits et aux libertés fondamentales. »

Selon le quotidien britannique The Guardian, Giuseppe Conte a d’ailleurs été le « cerveau » à l’origine de la proposition du parti antisystème d’abolir quatre cents lois jugées « inutiles », pour alléger une administration estimée aussi tentaculaire que sclérosante.

Nul doute, en tout cas, que le choix de cet homme, que la presse italienne dit « proche du Vatican et disciple de Padre Pio » (un moine mystique mort en 1968 et canonisé en 2002) fera débat. Parviendra-t-il à affirmer un « style Conte », malgré son profil de technocrate, ou sera-t-il « l’otage technique des partis », s’interroge La Repubblica.

« Pas peur »

« Si en effet je deviens premier ministre, ce sera un défi, une nouvelle aventure », a dit Giuseppe Conte à ses proches ces derniers jours, selon la presse italienne. « Chaque réussite commence avec la décision d’essayer », a-t-il d’ailleurs choisi comme phrase de profil sur son compte WhatsApp, paraphrasant John F. Kennedy.

Gage d’un caractère peut-être plus trempé que ce qu’on lui prête, le Corriere della Serra rapportait, lundi 21 mai, des propos tenus auprès de ses proches, affirmant qu’« il faut un certain degré d’autonomie pour conduire sérieusement un exécutif ». Il expliquait encore n’avoir « pas peur d’assumer les fonctions qu’on lui confierait ». Une assertion qui n’empêche pas le plus lu des quotidiens italiens de craindre, à son tour, la naissance d’une « marionnette » agitée en coulisses par les deux chefs de file populistes, façon Pulcinella et Scaramuccia.