Arep a conçu le Musée historique de la Ville de Pékin, inauguré en 2006. / AREP

C’est un micro-événement à l’échelle de la réforme ferroviaire, mais il agite les milieux de l’architecture et de la ville. Etienne Tricaud, le président du directoire et cofondateur d’Arep, « l’agence des gares » de la SNCF, est débarqué par la maison-mère de l’agence, SNCF Gares & connexions. Or sous l’impulsion de M. Tricaud et de son cofondateur, Jean-Marie Duthilleul, parti en 2012, Arep est devenue la première agence d’architecture de France avec un millier de salariés, dont 500 architectes, et un chiffre d’affaires de 110 millions d’euros.

Au-delà de la modernisation du réseau de gares de l’Hexagone, l’agence est aujourd’hui un des champions de l’architecture et de l’urbanisme français à l’étranger, livrant non seulement des gares mais aussi des tours, des musées et des quartiers entiers en Chine, en Russie, au Vietnam ou au Moyen-Orient. « Arep est un des vecteurs fondamentaux de la présence et de l’aura des architectes français à l’international, estime François Roux, le président de l’association Architectes français à l’export. La qualité de leur travail a un effet d’entraînement pour la diffusion de la ville durable à la française. »

Surprise

L’annonce de ce changement de direction, fin mars, lors d’un conseil de surveillance, a surpris tout le monde, en interne comme à l’extérieur. L’absence d’explication a nourri toutes les hypothèses. « Le mandat d’Etienne Tricaud arrivait à échéance, c’était le bon moment pour se poser la question d’un changement de direction, ça n’a rien à voir avec la réforme ferroviaire », assure Patrick Ropert, le directeur général de SNCF Gares & connexions.

Au-delà du départ de M. Tricaud, à la double formation d’architecte et d’ingénieur, c’est le choix de son successeur qui cristallise les inquiétudes : pour Patrick Ropert, « le prochain président du directoire ne sera pas forcément un architecte, mais un manager capable de donner une nouvelle impulsion ». Un cabinet de chasseurs de tête a été mandaté pour identifier des candidats, en France et à l’étranger.

Un ingénieur ou un financier à la tête d’Arep ? Une pétition signée par 600 salariés proteste contre cette « éviction brutale, incompréhensible et inquiétante », demande des explications et « exige » la présence au directoire d’un architecte, « cœur de métier » de l’agence. « Ce serait incompréhensible que ce ne soit pas un architecte qui dirige une agence qui porte autant l’excellence française de l’architecture, prévient aussi François Roux. Les agences d’ingéniérie dégagent sans doute plus de marge, mais architecte et ingénieur, ce n’est pas le même métier. »

Une agence en mutation

Pour Patrick Ropert, Arep n’est pas un cabinet d’architectes, mais une agence interdisciplinaire, dont la moitié des salariés sont des ingénieurs, des économistes, des programmistes, des sociologues… « Arep s’est beaucoup diversifié, beaucoup transformé depuis dix ans, or Etienne Tricaud est là depuis l’origine, argumente le directeur général de Gares & connexions. Tous nos métiers sont percutés par le numérique, non seulement pour la conception mais pour l’exploitation et la maintenance. » Un nouveau profil de manager serait donc nécessaire pour aborder cette mutation.

Certains observateurs redoutent un recentrage d’Arep sur ses travaux au service des gares françaises, dont Gares & connexions veut intensifier le rôle de redynamisation des centres-villes, ou sur les activités les plus rentables, comme les projets en maîtrise d’œuvre d’exécution, qui font l’économie du temps long des concours et des études de conception. « Il n’y aura pas de changement de stratégie, assure Patrick Ropert. Arep va continuer à se déployer en France et à l’international, en se concentrant sur l’Asie et le Moyen-Orient, pour mettre en œuvre son savoir-faire au service d’une ville vivable et qui favorise les échanges. »

De son côté, Etienne Tricaud se prépare à fonder sa propre agence d’architecture, comme l’avait fait Jean-Marie Duthilleul en 2012. En espérant avoir le temps de « transmettre l’esprit et les valeurs » de l’agence à son successeur, et « en souhaitant que ce soit un architecte ».