Officiellement, tout va bien. « Il n’y a pas de contradiction. Simplement, les deux ministres n’emploient pas toujours les mêmes mots dans le même ordre », glissait-on, mercredi 23 mai après-midi, dans les couloirs de Bercy. Pourtant, les propos tenus le matin même par le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, sur RMC et BFM-TV, ont bel et bien provoqué un couac gouvernemental avec son homologue de l’économie et de finances, Bruno Le Maire.

Ce désaccord entre deux ministres importants porte sur un sujet majeur : les économies à réaliser dans la dépense publique. « Je pense qu’il ne faut pas toucher aux prestations sociales individualisées », a indiqué M. Darmanin, tout en admettant qu’il y avait « évidemment des économies à faire dans le domaine social ». « On a le droit d’avoir des sensibilités différentes » avec M. Le Maire, a-t-il souligné, avant d’estimer que celui-ci n’avait « pas été maladroit ».

Dimanche, lors du « Grand Rendez-vous » Europe 1-Les Echos-CNews, M. Le Maire avait été interrogé sur une possible diminution des aides sociales. Deux jours plus tôt, Le Monde révélait les pistes explosives de la direction du budget, qui préconise de revoir le niveau de plusieurs prestations. « A partir du moment où nous réussissons à créer des [postes] dans le secteur privé, (…) il peut être légitime de réduire la politique sociale sur l’emploi », avait répondu M. Le Maire. « Expliquer qu’on va réduire la dépense sans rien toucher aux aides sociales, (…) ce ne serait pas juste ni lucide vis-à-vis des Français », a-t-il poursuivi.

Devant l’Assemblée nationale, mercredi après-midi, la ministre de la santé a abondé dans le sens de M. Darmanin : « Il n’y aura pas de remise en cause des aides sociales », a martelé Agnès Buzyn. Les paroles des deux contradicteurs de M. Le Maire ont d’autant plus de poids que, selon nos informations, elles ont été validées par Matignon et par l’Elysée. « Bruno Le Maire a cru qu’il était encore de droite », persifle l’un de ses collègues.

« Erreurs de méthode »

Depuis vingt-quatre heures, les conseillers de Bercy déminent. « M. Darmanin exprime sa sensibilité sociale, dit-on. L’idée, c’est de regarder l’efficacité des prestations sociales sans couper des allocations à des gens qui en sont bénéficiaires individuellement. Gérald Darmanin parle aussi des aides aux entreprises, comme Bruno Le Maire. Ce sont deux chantiers d’économies. » L’ex-maire de Tourcoing a en effet indiqué, mercredi, que la réforme des aides publiques aux entreprises devrait permettre d’économiser jusqu’à 5 milliards d’euros.

Pas question de laisser accréditer l’idée d’un début de dissonance entre les deux locataires de Bercy, transfuges du parti Les Républicains. Ce n’est pas le moment : le rapport des experts du Comité action publique 2022, sur la réforme de l’Etat, qui doit faire des propositions pour baisser la dépense publique, est attendu pour juin. Matignon rendra ensuite ses arbitrages sur ce sujet hautement inflammable. Le contenu du projet de loi de finances pour 2019 en dépendra. Mercredi après-midi, au Sénat, M. Darmanin a d’ailleurs promis que celui-ci contiendrait « des réformes importantes de baisse de la dépense publique ».

Le temps presse. La Cour des comptes ne rate pas une occasion de rappeler que l’Etat ne réduit pas assez vite ses dépenses. Mercredi, le Haut Conseil des finances publiques a souligné, sans mâcher ses mots, que l’amélioration des comptes de l’Etat était due à la seule amélioration de la conjoncture, et non aux gouvernements qui se sont succédé en 2017. A rebours des déclarations de M. Darmanin, qui répète à l’envi que la baisse du déficit français est « due à nos efforts pour moins dépenser et aux recettes du nouvel élan économique inspiré par Emmanuel Macron ».

Pourtant, les interrogations sur la politique fiscale et budgétaire de l’exécutif se multiplient dans la majorité parlementaire. Le député LRM Guillaume Chiche alerte sur les « erreurs de méthode » du ministre de l’économie. « On ne va pas diminuer la protection sociale, alors que nos réformes – qui visent à attaquer les inégalités à la racine – n’ont pas encore produit leurs effets », juge l’élu des Deux-Sèvres.

Mardi, la députée LRM du Pas-de-Calais Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée, avait demandé au gouvernement de « rassurer les Français sur [ses] intentions en matière sociale », après avoir fustigé « une mauvaise idée de Bercy ». « Je ne suis pas là pour accréditer l’idée que le président de la République est le président des riches », avait-elle déploré.