Miser sur toutes les possibilités économiques d’une île en tirant parti d’un gigantesque espace d’eaux territoriales au milieu de l’océan Indien : tel est le pari lancé voilà quatre ans par les autorités mauriciennes. En deux mots, l’ambition s’appelle « économie océanique ». Elle a donné naissance, en 2014, à un ministère du même nom. Depuis, les différents segments de cette économie « bleue » sont entrés en phase opérationnelle.

Développement de l’aquaculture, diversification de la pêche, rénovation du port, nouveaux services maritimes, exploration offshore, climatisation à l’eau de mer… L’heure est à un premier bilan de ce plan de diversification économique. « Les activités traditionnelles et les secteurs émergents ont donné lieu à un état des lieux complet réalisé en 2015 avec la Banque mondiale », précise-t-on à Port-Louis, au siège du tout nouveau Economic Development Board (EDB), une institution para-étatique. Le tout a débouché sur un « plan stratégique » et un « plan d’action » lancés en 2017.

La pêche, vieille activité, est l’un des axes de cette stratégie. Près de 140 000 tonnes de thon transitent chaque année par Maurice, générant un revenu annuel de 14 milliards de roupies (environ 330 millions d’euros). « Pourtant la flotte de navires de pêche battant pavillon mauricien était encore inexistante en 2014 », précise-t-on à l’EDB. Depuis, grâce notamment à des incitations fiscales de l’Etat, 19 navires « mauriciens » ont vu le jour, avec l’objectif de porter cette flotte nationale à 50 bateaux d’ici à 2021.

Pétrole, gaz et métaux rares

En pleine ébullition, le port de la capitale est directement concerné par le plan gouvernemental. Extension des quais, élargissement des zones attribuées aux conteneurs et aux pétroliers en escale pour faire le plein de carburant (une activité en hausse de 30 % par an depuis 2015), création d’une section dévolue aux paquebots de croisière… « Notre port se transforme et prépare toutes ces évolutions, sans oublier les nouveaux services maritimes à venir [réparations et approvisionnements] », souligne-t-on à l’EDB en rappelant que « près de 30 000 navires croisent chaque année dans la zone maritime de Maurice ».

Précisément, c’est sur la surface exceptionnelle des eaux territoriales (2,3 millions de km2) que mise le gouvernement. Deux textes de loi sont à l’étude pour fixer le cadre juridique qui permettra à Maurice de se lancer dans l’exploration pétrolière et gazière. Ils doivent être présentés au Parlement avant la fin de l’année.

Au large de Madagascar et du Mozambique, des réserves de gaz ont récemment été identifiées ; Port-Louis se prend donc à rêver. Sans oublier les métaux rares des fonds océaniques, pour lesquels l’île vient de signer la convention de l’Autorité internationale des fonds marins.

Côté nouvelles technologies, l’Etat a signé en 2016 un contrat de concession avec la société Urban Cooling, filiale du groupe mauricien Sotravic. Sur le modèle hawaïen, l’objectif est d’approvisionner le centre de Port-Louis en climatisation issue des eaux froides de l’océan. Baptisé « Sea Water Air Conditioning », le procédé devrait être au point courant 2018, avec une puissante station de transfert d’énergie (44 mégawatts) qui alimentera en air climatisé l’équivalent de 150 000 m2 dans divers bâtiments de la capitale.

Ombrines, bars et… requins

Enfin, Maurice espère beaucoup de la toute jeune filière de l’aquaculture. Selon l’EDB, celle-ci pourrait produire 25 000 tonnes de poisson à l’horizon 2025, soit des revenus de 8 milliards de roupies. Au total, 21 sites compatibles ont déjà été identifiés. Reste à étudier les projets, dans et au-delà du lagon. Pour l’heure, le dossier a suscité certaines polémiques dans la presse. Risque de pollution des eaux, impact sur les écosystèmes marins, crainte d’une prolifération des requins… Ces épineuses questions font encore l’objet d’études et de négociations.

En attendant la réalsiation de ces projets, les grands bassins sphériques d’élevage de la Ferme marine de Mahébourg attestent des ambitions de la filière aquacole. « Avec cette ferme pionnière qui existe depuis plus de quinze ans, nous sommes la seule compagnie privée d’aquaculture à Maurice et la plus grande de toute la région ouest de l’océan Indien », précise Pierre-Yves Semaesse, son président.

En 2016, l’entreprise a obtenu des autorités la possibilité d’étendre son activité à quatre sites, avec 80 cages marines et 120 salariés. En 2017, 1 500 tonnes d’ombrines tropicales et de bars communs ont été produites pour l’exportation en Europe et aux Etats-Unis. « Et des investissements doivent nous permettre de multiplier par six notre production entre 2015 et 2020 », affirme le patron.

Un modèle face aux craintes exprimées après les annonces de développement à grande échelle de la filière ? « Nos poissons sont élevés dans les meilleures conditions possibles et dans le respect de l’environnement, sans produits chimiques, sans vaccination ni antibiotique, et sans OGM, argumente Pierre-Yves Semaesse. La température élevée et la présence d’un courant constant permettent de nettoyer nos sites et de créer de la biomasse pour les espèces avoisinantes. » Reste à savoir si les nombreux autres projets (y compris hors lagon) en attente du feu vert des autorités respecteront le même cahier des charges.

Sommaire de notre série « L’île Maurice en quête d’un second miracle »

Canne à sucre, tourisme de luxe, « économie bleue »... Le pays cherche à diversifier ses ressources.