Le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, au Parlement, à Madrid, le 23 mai. / PAUL HANNA / REUTERS

Ce sont des peines exemplaires, cumulant au total 351 années de prison, que l’Audience nationale, le haut tribunal espagnol chargé notamment du crime organisé, a infligées à vingt-neuf membres du plus vaste réseau de corruption de l’histoire de l’Espagne démocratique, appelé « affaire Gürtel ». Le verdict, prononcé jeudi 24 mai, est un coup de massue pour le Parti populaire (PP, droite au pouvoir) de Mariano Rajoy, déjà en chute libre dans les sondages. Non seulement une dizaine d’anciens cadres et d’élus du PP ont été condamnés, mais la formation aussi, en tant que bénéficiaire du réseau. Le parti devra rembourser près de 250 000 euros pour le financement illégal de plusieurs meetings dans deux municipalités de la région de Madrid.

Au terme de onze mois de procès, entre novembre 2016 et octobre 2017, portant sur la « première époque » de Gürtel, celle qui couvre les années entre 1999 et 2005, et s’étend essentiellement sur plusieurs localités de la région de Madrid, le tribunal a accrédité l’existence d’un « authentique et efficace système de corruption institutionnelle au travers d’un mécanisme de contrats publics ». Les juges ont condamné l’entrepreneur Francisco Correa, le « cerveau » de l’affaire, intermédiaire entre les cadres et élus véreux du PP et des entreprises – dont les siennes – à près de cinquante-deux ans de prison pour fraude, corruption, blanchiment, trafic d’influence, détournement de fonds publics…

Deux anciens maires du PP, un ex-secrétaire du PP de Galice, un ancien conseiller des sports de la région de Madrid, ou encore une ancienne ministre du PP, font partie des condamnés. On y trouve surtout l’ancien trésorier national du PP, Luis Barcenas, auquel le président du gouvernement, Mariano Rajoy, avait envoyé un SMS d’encouragement en 2013 : « Luis, sois fort. » Il a été condamné à trente-trois ans de prison et à 44 millions d’euros d’amende.

L’existence d’une « comptabilité parallèle » du PP, une « caisse noire » nourrie de commissions illégales a, en outre, été confirmée par le tribunal, bien qu’elle fasse l’objet d’une autre procédure en cours devant déboucher sur un autre jugement, attendu dans les prochains mois. Lors du procès de l’affaire Gürtel, Mariano Rajoy, appelé en tant que témoin, avait pourtant déclaré que cette comptabilité parallèle n’existait pas. Les juges ont estimé que son témoignage n’était pas « plausible ».

« Cas isolés »

Le PP a annoncé dans un communiqué qu’il fera appel de la décision de l’Audience nationale, rappelant que « les faits jugés se limitent aux élections municipales de 2003 dans deux mairies madrilènes des 8 000 municipalités qui existent en Espagne » et assurant que « le PP national ne peut pas connaître les dépenses extracomptables auxquelles se livre un candidat à titre individuel ».

Pour se défendre, le parti au pouvoir continue d’assurer que la corruption se limite à quelques « cas isolés », bien que des dizaines de militants du PP soient actuellement poursuivis dans de multiples affaires de corruption dans toute l’Espagne. Il souligne aussi que les principaux scandales datent de l’époque où José Maria Aznar présidait le PP, avant que Mariano Rajoy n’en prenne les rênes en 2003.

« Nous avons travaillé pour modifier les lois [anticorruption] et essayer de faire en sorte d’éviter que ces choses se reproduisent », Mariano Rajoy, premier ministre espagnol

En début de semaine, c’est ainsi l’ancien ministre du gouvernement de M. Aznar Eduardo Zaplana qui a été arrêté pour blanchiment de fonds dans le cadre d’une enquête sur le rapatriement en Espagne de 10 millions d’euros de pots-de-vin présumés, qu’il aurait amassés lorsqu’il était président de la région de Valence (1995-2002). « Le PP représente beaucoup plus que dix ou quinze cas isolés, a déclaré Mariano Rajoy, jeudi. Nous avons travaillé pour modifier les lois [anticorruption] et essayer de faire en sorte d’éviter que ces choses se reproduisent. »

Mais les réactions de l’opposition à la condamnation du PP n’ont pas tardé. Albert Rivera, le président de la formation libérale montante, Ciudadanos, a annoncé qu’il allait revoir sa relation avec le gouvernement de Mariano Rajoy, dont il est le principal soutien. « La condamnation pour corruption du parti du gouvernement marque un tournant dans la législature », a-t-il affirmé avant d’annoncer que « la prochaine réunion exécutive de Ciudadanos l’évaluera et prendra des décisions pour éviter des dommages à [la] démocratie ». Celle-ci est prévue le 11 juin.

Pedro Sanchez, le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol, première formation d’opposition, l’a déjà devancé en déposant une motion de censure contre le gouvernement de Mariano Rajoy. Pour réussir, cette motion devra recueillir une majorité absolue de 176 députés derrière le candidat que présentera le parti pour former un nouveau gouvernement. Le parti de gauche radicale Podemos lui a déjà promis de le soutenir s’il déposait une motion de censure contre M. Rajoy.