Quatre jours de délibérations ont été nécessaires pour aboutir à un verdict. Jeudi 24 mai, au tribunal de San Jose (Californie), un jury populaire a infligé un cinglant revers judiciaire à Samsung, lui ordonnant de payer 539 millions de dollars (460 millions d’euros) de dommages à Apple pour violation de brevets. S’appuyant sur une décision favorable de la Cour suprême des Etats-Unis, le groupe sud-coréen estimait devoir verser vingt fois moins à son grand rival. Il dit désormais étudier « toutes les options », dont un appel.

Ce procès, le troisième dans cette affaire, constituait le dernier épisode d’un interminable marathon judiciaire, lancé il y a plus de sept ans. Il avait seulement pour objectif de déterminer le montant des réparations. Et non d’étudier la culpabilité de Samsung, déjà condamné en août 2012 pour avoir enfreint plusieurs brevets détenus par Apple dans la conception d’une vingtaine de smartphones et tablettes. Ces brevets concernaient notamment des éléments de design, comme le boîtier rectangulaire avec les coins arrondis et la grille d’applications, éléments caractéristiques des premiers modèles d’iPhone.

Lors du premier procès, Samsung avait été condamné à payer 1,05 milliard de dollars. Après une série de recours et d’appels, cette somme avait été ramenée à 930 millions, puis à 548 millions de dollars. L’entreprise avait alors saisi la Cour suprême, remettant en cause la méthode de calcul utilisée par la justice américaine. Celle-ci reposait sur l’interprétation d’une loi votée en 1887, qui attribue au plaignant l’ensemble des profits réalisés par un produit qui enfreint un brevet relatif au design.

Des débats très techniques

Fin 2015, le fabricant de la gamme Galaxy, numéro un mondial du secteur, avait obtenu gain de cause : l’annulation de 399 millions de dollars de dommages. « La Cour suprême avait estimé que le plaignant ne devait pas forcément recevoir l’intégralité des bénéfices, indique Mark McKenna, professeur de droit à l’université de Notre-Dame. Mais elle n’avait pas expliqué dans quel cas de figure il devait toucher tous les profits, ni quels éléments devaient permettre d’établir le montant du préjudice ».

Autant de questions complexes auxquelles ont dû répondre les jurés. Pour Samsung, les brevets incriminés n’ont joué qu’un rôle mineur dans les décisions d’achat des consommateurs. Il chiffrait les dommages à seulement 28 millions de dollars. Au contraire, Apple a assuré que le succès de son concurrent était directement lié à l’apparence de ses produits, copiée sur celle de l’iPhone. Il réclamait plus d’un milliard de dollars, arguant que le précédent jugement avait considérablement sous-estimé les profits réalisés par Samsung.

Avant le procès, de nombreux experts prédisaient cependant que la société américaine ne pourrait pas obtenir davantage que les 399 millions de dollars qui lui avaient précédemment été accordés. Le verdict, qui a accordé 140 millions de plus, a donc surpris. Au cours de la semaine d’audiences, les experts se sont succédé à la barre. Et les débats ont essentiellement été techniques, peut-être trop techniques.

« Il semble que les jurés ont eu des difficultés à appréhender tous les éléments du dossier, souligne Brian Love, professeur à l’université de Santa Clara. Il est donc possible qu’ils aient décidé de trancher pour une somme située au milieu des demandes des deux parties. » Victoire importante pour Apple, ce jugement « va à l’encontre d’une décision unanime de la Cour suprême », regrette Samsung.

Recours possibles

Au cours des prochains jours, l’entreprise va pouvoir déposer des recours pour contester certains calculs des jurés. Puis elle pourra faire appel auprès d’une cour fédérale composée de trois juges. Si le verdict est confirmé, Samsung aura encore la possibilité de saisir la Cour suprême, mais « il est peu probable qu’elle accepte l’affaire », estime M. McKenna. Samsung devra alors verser les réparations dues à Apple.

En revanche, si le verdict est annulé en appel, un quatrième procès se tiendra, une nouvelle fois à San Jose. A la demande de la juge en charge du dossier, les deux sociétés se disent également prêtes à négocier un accord à l’amiable. Mais toutes les négociations ont jusqu’à présent échoué.

Malgré ses victoires judiciaires, Apple n’a jamais obtenu l’interdiction à la vente des smartphones de Samsung sur le sol américain. Et les sommes en jeu restent faibles comparées aux profits des deux rivaux. En 2014, ils s’étaient entendus pour abandonner toutes les poursuites engagées hors des Etats-Unis. Un mouvement qui touche l’ensemble du secteur. La vaste guerre des brevets à laquelle se livraient depuis des années les acteurs du mobile a quasiment pris fin avec la multiplication d’accords à l’amiable.