Les présidents français Emmanuel Macron et russe Vladimir Poutine, lors d’une séance plénière du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, le 25 mai. / --- / ---/Kremlin/dpa

On s’est écrasé les pieds pour assister, vendredi 25 mai, dans une salle bondée du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, au « dialogue » entre patrons et chefs de l’Etat, français et russe. Soixante chefs d’entreprises hexagonales, emmenés par le Medef, avaient fait le déplacement, dont Patrick Pouyanné (Total), Isabelle Kocher (Engie), Frédéric Oudéa (Société générale) ou encore Emmanuel Faber (Danone) pour n’en citer que quelques-uns. Côté russe, les oligarques Viktor Vekselberg et Guennadi Timtchenko – visés l’un et l’autre par les sanctions américaines à l’encontre de la Russie –, avaient notamment été désignés pour représenter l’économie russe.

Tout heureux de participer à l’événement, le patron du Medef Pierre Gattaz a offert un cadeau au président Vladimir Poutine, « un petit coq bleu, symbole de l’industrie française ». « Il faudrait y ajouter un aigle à deux têtes [symbole de la Russie] », a plaisanté le chef du Kremlin, déclenchant les rires de la salle.

Un coq gaulois censé incarner « la résilience », selon les mots de son homologue français Emmanuel Macron, des 500 entreprises tricolores qui sont présentes de longue date en Russie malgré toutes les crises économiques et géopolitiques. « Elles restent, s’est félicitée la délégation française, le premier employeur étranger en Russie, avec 170 000 salariés ». Certes. Mais leurs performances sont bien loin d’égaler celles des groupes allemands – « et surtout chinois », comme a tenu à le rappeler M. Poutine.

« Nous devons et pouvons faire mieux »

En effet, les échanges commerciaux entre les deux pays demeurent modestes, même s’ils sont repartis à la hausse en 2017 pour atteindre 13,2 milliards d’euros, et occasionnent à la France un déficit commercial de 2 milliards d’euros. « Ce n’est pas très satisfaisant », a reconnu M. Macron, « nous devons et pouvons faire mieux ».

« L’énergéticien finlandais Fortum a investi 6 milliards de dollars [5,1 milliards d’euros] en Russie, a répondu M. Poutine, à comparer avec les 15 milliards de dollars de la France, en 2017. Vous trouvez ça normal ? »

« Total a investi 9 milliards de dollars en Russie, c’est un peu plus que l’entreprise finlandaise que vous citiez, Monsieur le président, l’honneur est sauf », a réagi le PDG du groupe pétrolier, que le chef du Kremlin a appelé « Patrick » à plusieurs reprises. Enhardi par cette familiarité, ce dernier s’est aventuré à demander au président russe si sa nouvelle joint-venture signée avec le groupe russe Novatek pourrait un jour exporter son gaz sans passer par le monopole de l’Etat. Réponse moqueuse de M. Poutine : « Tu peux utiliser Gazprom [le géant public] pour exporter ton gaz, pas de problème. »

« Ici, commencent les problèmes géopolitiques »

Sur un mode plus sérieux, le dirigeant russe a profité de l’occasion pour évoquer la question ukrainienne. « Ici, commencent les problèmes géopolitiques, en particulier le transit du gaz à travers l’Ukraine ». Un sujet savamment esquivé jusqu’ici et dont s’est aussitôt emparé M. Macron : « C’est une très bonne chose qu’il ait été abordé, on ne peut pas faire comme s’il n’existait pas (…). Il n’y aura pas d’Europe, qu’elle soit de l’Atlantique à l’Oural ou de Lisbonne à Vladivostok, s’il y a au milieu quelque chose qui est fait de désaccords, de barbelés, ou de plaies ». « Il ne faut pas qu’on oublie, parce qu’on serait devant des chefs d’entreprise, et nos peuples et la géopolitique », a-t-il insisté.

Finalement, un mot aura été le grand absent de toute la réunion, même s’il était dans tous les esprits. Celui des « sanctions » dont la Russie fait l’objet depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et le début du conflit dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine, entre séparatistes pro-russes soutenus par Moscou et forces loyales à Kiev.

Et ces dernières n’ont fait que s’aggraver avec l’introduction de nouvelles mesures américaines, susceptibles aujourd’hui de concerner par ricochet les partenaires commerciaux européens de Moscou. « Hier, la moitié du conseil d’administration de Rusal [numéro un de l’aluminium en Russie visé par les sanctions de Washington] a démissionné », relevait un conseiller de l’Elysée.

Pendant ce temps, tout à côté, dans le hall réservé aux régions de Russie, la Crimée, la péninsule ukrainienne annexée, tentait de séduire les investisseurs étrangers avec de beaux dépliants.