Donald Trump a surpris, vendredi 25 mai, en affichant son optimisme sur les discussions avec Pyongyang, évoquant le possible maintien du sommet du 12 juin. / Ahn Young-joon / AP

Le doute plane sur la tenue du sommet entre les Etats-Unis et la Corée du Nord. Après avoir fait savoir dans une lettre envoyée, le jeudi 24 mai, qu’il annulait sa rencontre avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, prévue à Singapour le 12 juin prochain, Donald Trump a surpris, vendredi, en évoquant le possible maintien du sommet.

Pour Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et professeur à Sciences Po, cette séquence diplomatique profite au régime nord-coréen, qui apparaît désormais en position de force.

Les négociations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sont-elles vouées à l’échec ?

Il faut d’abord les remettre dans leur contexte. D’abord, depuis le premier essai nucléaire de 2006, aucune solution n’a encore permis d’assurer une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible du régime nord-coréen. Ensuite, les programmes nucléaire et balistique nord-coréens ont considérablement progressé ces dernières années. Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, ils font partie de l’identité du régime. Toute négociation sera donc forcément longue et difficile.

En acceptant l’organisation d’un sommet avec le dirigeant nord-coréen, le président américain a fait un coup politique dans le but de le transformer en succès diplomatique. Or, un sommet vient normalement couronner des mois, voire des années de négociations. Dans le cas présent, Donald Trump a pu espérer initialement que des discussions de quelques semaines aboutissent à une dénucléarisation à court terme, avant, semble-t-il, de se raviser. Toutefois, tout est encore possible.

Le sommet est-il alors en péril ?

Les deux parties ont annoncé leur souhait de poursuivre les négociations et c’est un point positif. Tant Kim Jong-un que Donald Trump continuent d’avoir un intérêt pour les négociations.

Côté nord-coréen, poursuivre les négociations est important. Cela permet au régime d’atténuer la pression militaire américaine et de réduire la possibilité de frappes préventives, d’éviter de nouvelles sanctions économiques tout en adaptant l’économie du pays aux sanctions existantes, et de se rapprocher de ses voisins sud-coréen et chinois après plusieurs années de tensions bilatérales.

Ainsi, tout a été fait pour que Donald Trump accepte initialement ce sommet et pour que les négociations perdurent. La rhétorique belliciste de 2017 a laissé place à des promesses ambiguës de dénucléarisation « si les conditions étaient remplies », et les concessions politiques réversibles comme l’annonce d’un gel des essais nucléaires et balistiques de longue portée se sont multipliées.

Le régime a également conscience que le président américain a besoin d’un accord, encore plus depuis qu’il a retiré les Etats-Unis du JCPOA et que les élections de mi-mandat approchent, afin de prouver à sa base qu’il est capable de négocier et d’obtenir un great deal.

Le problème, c’est que les Etats-Unis et la Corée du Nord ne sont pas sur la même ligne, et ce, depuis des années, concernant le cœur des négociations : la dénucléarisation. Le régime nord-coréen mise sur la nécessité pour Trump de sceller rapidement un accord politique plus que technique, ne faisant de la dénucléarisation qu’un horizon lointain, alors que Trump pourrait considérer comme indispensable une dénucléarisation à court terme de la Corée du Nord. La réalité des différends rattrape tant Pyongyang que Washington.

Que cherche la Corée du Nord désormais ?

Les récentes déclarations nord-coréennes, considérées comme « hostiles et pleines de colère » par Trump, sont pourtant modérées avec un objectif clair : tenter de diviser au sein de la Maison Blanche en critiquant le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, ou plus précisément la ligne politique qu’il représente.

Pour simplifier, la ligne du secrétaire d’Etat Mike Pompeo qui est en charge des négociations et a rencontré à deux reprises Kim Jong-un semble viser un accord initial, avec des concessions réciproques menant in fine à un accord plus global, étape par étape, d’où l’importance des négociations.

La ligne Bolton à l’inverse, maximaliste, vise à obtenir le démantèlement des capacités nucléaires, balistiques et même chimiques du régime nord-coréen à très court terme et à évoquer seulement ensuite de potentielles concessions. Cette seconde ligne est inacceptable pour Pyongyang.

C’est la raison pour laquelle les officiels nord-coréens ont critiqué Bolton et Pence, qui faisaient référence au « modèle libyen », en se gardant bien de critiquer Trump. La réponse à la lettre du président américain est dans la même veine, mêlant ouverture et flatterie, et soulignant implicitement que la ligne Pompeo et la « formule Trump » peuvent conduire à un accord.

A qui cette séquence diplomatique profite-t-elle ?

Les hésitations quant au maintien du sommet sonnent comme un échec pour le président Trump, puisqu’il s’était engagé mais renonce désormais. C’est toutefois un échec partiel et relatif, car mieux vaut se retirer des négociations maintenant que d’aboutir à un fiasco le 12 juin et d’en faire un « sommet pour rien ». Il laisse, par ailleurs, la porte ouverte au dialogue dans sa lettre et dans ses tweets.

La Corée du Nord ressort à court terme en position de force, au point que l’intérêt d’un sommet se pose désormais, même si la poursuite des négociations est encore une fois dans son intérêt. Les derniers échanges font apparaître Kim Jong-un comme le dirigeant le plus raisonnable des deux et lui confèrent une véritable stature internationale renforçant sa légitimité auprès de l’élite nord-coréenne. Une rencontre et un accord initial permettraient, cependant, à la Corée du Nord de gagner du temps et de stabiliser la situation.

La Corée du Sud, et surtout le président Moon Jae-in qui s’est considérablement investi, est à l’inverse fragilisée. Sur le plan international, la coordination entre Séoul et son allié américain apparaît comme affaiblie et le serait encore plus si Washington décidait de renforcer encore davantage les sanctions contre la Corée du Nord sans tenir compte de l’avis de Séoul. De plus, alors que des élections nationales partielles et locales vont avoir lieu le 13 juin prochain, les partis d’opposition vont fortement critiquer le manque de réalisme du président, et la vague progressiste annoncée risque de ne pas avoir lieu.

Comment pourrait réagir l’administration américaine dans les prochaines semaines ?

Trump apparaît plus que jamais comme imprévisible et je me garderai bien de faire des prévisions. Il pourrait considérer qu’il a toujours besoin d’un accord et qu’un sommet, même s’il ne conduit pas à une dénucléarisation à court terme, serait un gain en termes de politique intérieure.

A l’inverse, le risque est que la ligne Bolton prenne le dessus sur la ligne Pompeo et que les négociations soient suspendues. Trump pourrait alors considérer qu’une solution diplomatique ne peut pas être trouvée, qu’il faut accentuer la pression et opter pour des solutions non diplomatiques, potentiellement militaires, ce qui nous ramènerait à la période de fortes tensions de l’année dernière.