S’il y a grande affluence ce samedi après-midi 26 mai sur les pelouses du parc de la Villette, dans le 19e arrondissement parisien, ce n’est pas seulement en raison du soleil. Les promeneurs du week-end cohabitent avec une foule de mélomanes venue assister aux concerts gratuits organisés en plein air par le festival Villette sonique, qui se déroule du 25 au 30 mai. L’événement n’est pas anodin, les concerts sur les espaces verts avaient été en partie abandonnés depuis deux ans pour cause de plan Vigipirate. N’avait alors subsisté qu’une scène nommée « Périphérique », un peu déroutante, repoussée en bordure du parc sous l’autoroute. Bonne nouvelle, donc, deux scènes ont repris place sur le site, les cinq soirées payantes se répartissant entre la grande halle de la Villette, le Trabendo et le Cabaret sauvage. Jusqu’à 30 000 visiteurs étaient attendus samedi et dimanche pour les concerts en plein air, ainsi que quelque 10 000 spectateurs pour les concerts en salle.

Depuis sa première édition en 2006, le festival Villette sonique défend une programmation pointue, à l’avant-garde du rock et de la musique électronique. Le rap et les musiques d’ailleurs ont également pris de plus en plus d’importance au fil des éditions. Bon nombre d’artistes établis y ont fait leurs premiers pas en France, tels que les garage rockeurs de Thee Oh Sees, Ty Segall ou encore le saxophoniste jazz Kamasi Washington.

Une ouverture d’esprit renouvelée

La direction artistique de cette édition 2018, assurée désormais par l’agence Super ! (notamment aux manettes du Pitchfork Music Festival qui se déroule sur le même lieu) couplée à celle du festival breton La Route du Rock, s’inscrit dans la continuité. De l’accordéoniste bosnien Mario Batkovic à la pop synthétique grinçante de l’Américain John Maus, la quarantaine d’artistes présents atteste d’une ouverture d’esprit renouvelée.

A peine remarque-t-on quelques noms plus familiers qu’à l’accoutumée, comme les pionniers du post-rock Mogwai et l’electronica du très en vogue Britannique Jon Hopkins. « Nous avons voulu garder l’ADN du festival, son côté défricheur, commente Julien Catala, de l’agence Super !. Autre point très important, c’était de maintenir les concerts en plein air. » Ses coups de cœur pour dimanche ? « Nilüfer Yanya, une chanteuse anglaise entre folk et jazz, ainsi qu’Abra, dont le r’n’b s’annonce explosif ».

Beats envoûtants et guitares racées

Samedi après-midi, après avoir passé les contrôles de sécurité de rigueur, on peut profiter du concert de The Sea and Cake, formation tenue par des vétérans de la scène post-rock de Chicago, aux guitares savantes entre pop et jazz. Un peu plus loin, la Galloise Kelly Lee Owens, seule sur scène avec ses machines et son micro, voix langoureuse, alterne nappes élégiaques et beats techno envoûtants. Clou de cette fin d’après-midi, la prestation du Suédois Axel Willner alias The Field, « techno-kraut » aux boucles glaciales et minimalistes, fédère de nombreux spectateurs, y compris à l’extérieur de l’enceinte, où les buveurs d’apéro savourent le concert allongés sur l’herbe.

Début de soirée au Trabendo, les juvéniles rockeurs indie de Car Seat Headrest jouent dans une salle moite et bondée. Sans révolutionner la donne, les compositions vibrantes du leader à lunettes Will Toledo, 25 ans et déjà une longue liste d’albums autoproduits depuis 2010 avant d’être signé sur le respecté label Matador, le placent comme le plus sérieux espoir de la scène rock alternative américaine.

La grande halle de la Villette est quant à elle plongée dans la pénombre par les incantations de la mystique Anna Von Hausswolff. Cette fluette Suédoise à la voix phénoménale, développe d’assez fascinantes longues transes au son d’orgue et de guitares pesantes.

Marquis de Sade, élégance post-punk

Place enfin aux vedettes de la soirée, le groupe rennais Marquis de Sade, reformé depuis l’an dernier pour un concert événement dans la capitale bretonne. Créée en 1977, la formation menée par le guitariste Frank Darcel et le chanteur Philippe Pascal, est l’auteure durant sa courte vie de deux albums, Dantzig Twist (1980) et Rue de Siam (1981), dont l’esthétique post-punk arty tenait la dragée haute aux figures du mouvement Gang of Four, The Psychedelic Furs, autant que Television et les Talking Heads.

Tenue noire élégante, chevelure grise dense et l’allure toujours élancée et ondulée, Philippe Pascal n’a rien perdu de son charisme ténébreux, notamment sur les emblématiques Set in Motion Memories et Silent Word. Grande surprise de la soirée, deux invités de marque rejoignent le groupe sur scène. Deux figures de la scène rennaise, avec en premier lieu l’éternel dandy pop Étienne Daho, le temps d’un classieux duo sur une reprise du Velvet Underground, Ocean. Mais aussi, plus étonnant voire inattendu pour une partie du public, le chanteur de variété Pascal Obispo, fan fidèle du groupe qui fut à ses débuts bassiste du groupe Senso, formation post-Marquis de Sade. Autant de présences qui ont confirmé ce soir la place durable et l’influence large des Marquis sur le paysage rock hexagonal.


Festival Villette sonique, Parc de La Villette, Paris 19e.

Concerts gratuits dimanche 27 mai, de 14 heures à 20 heures : Abra, Essaie Pas, Fire !, Flohio, Hookworms, Mario Batkovic, Nilüfer Yanya, Smerz, Snail Mail.

Soirées payantes : Deerhunter, Midnight Sister, le 29 mai au Trabendo (26 €) ; John Maus, Flat Worms, Kate NV, le 30 mai au Trabendo (26 €).