Une foule en liesse s’est rassemblée à Dublin pour célébrer le « oui » au référendum, le 26 mai. / PETER MORRISON / AP

L’éditorial du « Monde ». C’est le genre de référendums qui vous réconcilie avec les référendums. La consultation irlandaise du vendredi 25 mai, qui s’est traduite par un raz-de-marée en faveur de l’abrogation de l’amendement constitutionnel interdisant l’interruption volontaire de grossesse dans la République, est le contre-exemple du référendum sur le Brexit, organisé il y a deux ans au Royaume-Uni voisin. Avec 66,4 % de « oui », selon les résultats officiels publiés samedi, et une participation remarquable (64 %) pour un référendum, ce vote unit le pays au lieu de le diviser ; il n’oppose pas les villes aux zones rurales ; il rapproche l’Irlande du reste de l’Europe au lieu de l’en éloigner. La participation des jeunes a été particulièrement élevée (85 %), et la campagne respectueuse.

Le premier ministre, Leo Varadkar, a eu raison de saluer une « journée historique » pour l’Irlande, dans laquelle il voit une « révolution tranquille ». En transformant l’essai du référendum non-moins historique de 2015, qui avait ouvert la voie au mariage homosexuel, le vote du 25 mai met fin à la situation paradoxale d’un pays où le mariage entre personnes du même sexe est autorisé mais où les femmes n’ont pas le droit de décider du sort de leur grossesse.

Il révèle une société en avance sur ses élites religieuses et politiques : passant outre aux positions de l’Eglise catholique et aux hésitations des dirigeants politiques, la campagne pour ce référendum a suscité une libération de la parole sans précédent sur les souffrances des femmes et des couples privés du droit à l’avortement. De nombreux électeurs ont reconnu qu’ils attendaient ce scrutin depuis longtemps. Signe révélateur de l’ampleur de l’évolution des mentalités, lancée dans les années 1990 avec l’autorisation du divorce et la dépénalisation de l’acte homosexuel, les hommes ont été aussi nombreux que les femmes à voter « oui ».

Résultat spectaculaire

Le premier ministre, qui, ouvertement homosexuel et fils d’immigré indien, est lui-même un symbole de la modernisation d’une société longtemps dominée par l’Eglise catholique, ne s’est converti que tardivement à la nécessité de briser le tabou de l’avortement par une consultation électorale. Tout homme ou femme politique irlandais se souvient que c’est également un vote populaire, tout aussi largement majoritaire, qui avait banni l’IVG en 1983. Mais les électeurs, eux, ont un autre souvenir présent à l’esprit : celui des 200 000 femmes qui ont dû traverser la mer d’Irlande depuis 1983 pour aller se faire avorter en Grande-Bretagne.

L’Irlande, a affirmé Leo Varadkar pour rassurer les partisans du non, « reste la même que la semaine dernière. Simplement elle est plus tolérante, plus ouverte, et plus respectueuse ». Le résultat spectaculaire de ce référendum aura sans nul doute été observé avec une attention particulière dans deux endroits en Europe : en Pologne, où la société civile est également mobilisée pour empêcher le gouvernement de restreindre encore le droit à l’avortement – celui-ci n’y est possible qu’en cas de viol, de malformation du foetus ou de risque pour la santé de la mère – et où la hiérarchie catholique polonaise est plus militante que l’Eglise irlandaise, restée discrète pendant cette campagne. Et en Irlande du Nord, province britannique où, paradoxalement, l’IVG reste interdite.

Quant au reste de l’Union européenne, seuls Malte, Chypre et la petite principauté d’Andorre continuent à faire exception.