L’électricité produite par la centrale photovoltaïque installée par I-ENER sur le toit de l’église d’Ostabat-Asme est vendue à Enercoop. / I-ENER

C’est un « clin d’œil » dont n’est pas peu fier son maire. En contrebas du petit village basque d’Ostabat-Asme (200 âmes), l’œil est attiré par la toiture de son église blanche, faite d’ardoises et… de panneaux solaires. En s’en approchant, on est surpris de voir que l’installation photovoltaïque, qui remplace quelques dizaines de mètres carrés du faîtage et développe une puissance de 9 kWc (kilowatt crête), se fond parfaitement dans la silhouette du bâtiment de la fin du XIXe siècle.

Cette réalisation n’aurait pas été possible sans I-ENER. C’est à cette société de production d’énergie, détenue majoritairement par des citoyens du Pays basque, que la mairie d’Ostabat a cédé en 2017, pour vingt-cinq ans, le toit de ce bâtiment communal, tout comme celui de sa crèche. « Concrètement, je n’aurais pas pu proposer un projet à 50 000 euros, reconnaît le maire, Daniel Olçomendy. Cela relève du pragmatisme financier pour une petite collectivité comme la nôtre. Mais nous avons une responsabilité vis-à-vis de la transition énergétique. Nous y contribuons à notre échelle, en laissant les toitures de ces bâtiments, pour 1 euro symbolique [par an], à disposition de l’investissement citoyen. »

Depuis septembre 2014, I-ENER installe des centrales photovoltaïques sur les toits des édifices publics. Son objectif : relocaliser la production d’énergie verte au Pays basque en faisant appel au financement citoyen. « Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de l’énergie consommée au Pays basque français vient de l’extérieur », soulignent Mathieu Iriart, ingénieur en bâtiment, et Patxi Bergara, salarié d’une société de capital-risque solidaire, qui se sont rencontrés dans le courant de 2014, partageant la même envie de trouver un moyen de redonner à leur territoire une « souveraineté » énergétique.

Un actionnaire, une voix

Très vite, ils entraînent dans leur sillage une dizaine de personnes qui finissent par décider de créer une société par actions simplifiées (SAS) en adoptant un mode de gouvernance coopératif : un actionnaire une voix, quel que soit le nombre d’actions. Son objet : mener la transition énergétique au Pays basque. « Nos statuts sont très larges car nous ne voulons pas être bridés pour évoluer et nous diversifier. Mais, explique Mathieu Iriart, l’idée était de partir de la production d’électricité. » Et Patxi Bergara d’ajouter : « Le plus simple et le moins coûteux pour se lancer était de développer de l’énergie solaire. » D’autant qu’en projetant de revendre son électricité à EDF, I-ENER savait pouvoir bénéficier des tarifs d’achat régulés, garantis pour vingt ans et économiquement intéressants.

Depuis la première installation à Ustaritz (7 000 habitants), neuf projets ont été réalisés pour un investissement de 450 000 euros. Six autres vont l’être cet été et 25 supplémentaires sont dans les tuyaux. « Plus on fait d’installations, plus on est appelé à en faire. Il y a un effet boule de neige », constate Bixente Uhalde, “le” salarié d’I-ENER qui sillonne le Pays basque pour convaincre les municipalités d’entrer dans le mouvement.

Chaque projet est financé pour partie par emprunt bancaire, pour partie par participation citoyenne. La commune n’a aucun denier à débourser : I-ENER finance et gère l’ensemble du projet. Et elle se rémunère sur la vente d’électricité. « Nous nous attachons à ce que 30 % du projet soient financés par des fonds propres apportés par de nouveaux sociétaires issus de la commune du projet », explique Mathieu Iriart. A Bidarray (700 habitants), l’installation a été entièrement financée par des citoyens de la commune.

La centrale photovoltaïque sur le toit de l’école publique Arrauntz du village basque d’Ustaritz, première installation faite par I-ENER en juin 2016. / I-ENER

Eveiller les consciences 

A chaque fois, I-ENER organise une, voire deux réunions avec la population pour présenter le projet et séduire de nouveaux actionnaires. « Il est important de sensibiliser les gens à ce type d’investissement collectif citoyen. Il faut que la population se mobilise localement et n’attendent pas tout de la puissance publique. Outil au service du territoire, I-ENER est là pour éveiller les consciences », relève Jean-Michel Anchordoquy, maire de Bidarray, qui a été surpris de l’engagement de certains habitants auquel il ne s’attendait pas.

« La proximité du projet est un élément-clé de la prise de participation », observe Mathieu Iriart. Et Iker Elizalde, adjoint au maire d’Hendaye, d’abonder : « Il y a aujourd’hui une volonté des citoyens de se réapproprier les ressources territoriales pour recréer de l’activité locale. Il est de notre responsabilité d’élus de soutenir ces initiatives, mais en faisant attention de ne pas faire à leur place. »

De 10 000 euros à son origine, le capital d’I-ENER atteint désormais 220 000 euros issus de l’épargne solidaire de 375 sociétaires, en très grande majorité des particuliers auxquels s’ajoutent 6 entreprises, 5 associations locales et la mairie de Macaye. I-ENER s’appuie aussi aujourd’hui sur la « prime à l’investissement citoyen » mise en place à l’été 2017 par la Nouvelle Aquitaine pour favoriser le développement de production d’énergies renouvelables : pour 1 euro investi dans I-ENER par un citoyen, la région double la mise.

Energie produite par les citoyens pour les citoyens

« L’I-ENER n’est pas encore arrivé au parfait équilibre, dit Bixente Uhalde. Mais tous les projets menés sont économiquement viables et rentables. L’amortissement de chaque projet est prévu sur dix à douze ans ». Les bénéfices seront ensuite réinvestis dans le financement de nouveaux projets. Pour l’heure, l’objectif n’est pas de reverser des dividendes aux sociétaires.

La centrale photovoltaïque installée sur le toit d’un bâtiment communal du petit village de Macaye (500 habitants) est l’une des plus grandes et plus puissantes installées par I-ENER / I-ENER

La société citoyenne commence à réfléchir à une diversification. Elle travaille notamment sur un projet de méthanisation à partir des effluents agricoles sur le territoire de la Soule dans l’est du Pays basque. Elle s’est aussi lancée dans l’étude d’un projet d’autoconsommation. « Notre objectif ultime, c’est la souveraineté du territoire », explique Bixente Uhalde.

Un premier pas a été franchi à la fin de 2017 avec la centrale installée sur l’église d’Ostabat : I-ENER a décidé de basculer le contrat de vente de l’électricité produite d’EDF à Enercoop, coopérative pionnière en France de fourniture d’électricité renouvelable, dont le capital est détenu par des citoyens.

Jusque-là, il était financièrement plus confortable de contractualiser avec EDF, l’opérateur historique assurant, on l’a vu, une rémunération avantageuse et prévisible. Mais depuis octobre 2017, Enercoop peut elle aussi conclure des contrats d’achat d’électricité renouvelable en bénéficiant des tarifs d’achat régulés.

I-ENER ne peut cependant basculer les contrats de vente de toutes ses installations, comme elle souhaiterait le faire. Enercoop a en effet été limitée dans le nombre de contrats qu’elle peut passer en bénéficiant des tarifs d’achat régulés. Une disposition qui freine encore la transition vers un modèle de soutien aux énergies renouvelables impliquant les citoyens et les acteurs des territoires.

Jeudi 31 mai, Le Monde organise à l’hôtel de ville de Bordeaux une conférence sur l’implication des citoyens dans la transition énergétique.

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