Marco Trungelliti peut lever le poing : le voilà qualifié pour le deuxième tour de Roland-Garros, après près de 3 heures de match, 5 heures de sommeil et dix heures de route. / Alessandra Tarantino / AP

« Ma grand-mère était sous la douche, je lui ai dit : mamie, on repart à Paris ! » L’histoire de Marco Trungelliti, 190e mondial, est digne d’un road-movie. Si vous n’avez pas suivi, on résume : jeudi, l’Argentin perd au 3e tour des qualifications et repart dare-dare à Barcelone, où il vit, avec sa grand-mère, sa mère et son frère, venus visiter l’Espagne, faute d’avoir pu découvrir Paris.

Lire le début du feuilleton : Roland-Garros : recherche perdant désespérement

Dimanche, l’Australien Nick Kyrgios déclare forfait. Le premier remplaçant ? Indisponible, déjà engagé sur un autre tournoi en Italie. Le deuxième ? C’est lui. A peine cinq minutes d’hésitation, et la décision est prise. C’est parti pour 1 000 km entre Barcelone et Paris. Car pour pimenter le tout, le voyage se déroulera en voiture de location.

Son frère Andre et lui se partagent alternativement le volant. Sur la banquette arrière de la Seat Ibiza, la mère, Suzanna, et la grand-mère, Dafne, qui fêtera ses 89 ans en juin. Dix heures et quatre pauses cafés plus tard, la familia au complet arrive dans la nuit à Paris, à quelques heures du match... programmé à 11 heures aujourd’hui. Pas vraiment les dispositions idéales quand on s’apprête à disputer le premier tour d’un tournoi du Grand Chelem.

Et voilà l’Argentin qui, ce lundi donc, a prolongé l’improbable épopée en se qualifiant pour le deuxième tour après une victoire convaincante contre l’Australien Bernard Tomic (6-4, 5-7, 6-4, 6-4).

Cela méritait bien une standing ovation du public du court n°9 qui avait visiblement suivi avidement le feuilleton. A l’inverse d’un Bernard Tomic souvent emprunté sur cette terre battue à laquelle il est presque allergique, Marco Trungelliti, jusqu’alors totalement inconnu sur le circuit, enchaînait les glissades maîtrisées et les revers sautés bien inspirés. Une petite appréhension au moment de conclure le match, avant de lever les bras dans un grand sourire contagieux.

« On s’apprêtait à aller à la plage »

En conférence de presse, aussi bondée qu’après une finale, l’Argentin aux faux airs de Gaston Gaudio n’a pas paru le moins du monde impressionné. Et a donné les détails de son périple :

« Quand je ai appris la nouvelle dimanche, on s’apprêtait à aller à la plage. Mais quand j’ai dit à ma grand-mère qu’on retournait à Paris, elle était ravie. Et puis nos valises n’étaient pas encore défaites », a-t-il raconté devant une soixantaine de journalistes.

« Beaucoup de vols étaient annulés, je n’ai pas pris le risque. Et en France, les trains ne roulent pas en ce moment alors la seule option fiable, c’était la voiture. En Argentine, 1 000 km c’est trois fois rien ! On est parti vers 13 heures et on est arrivé vers minuit. Et on a débarqué au tournoi lundi matin vers 7h30. J’ai dormi cinq heures grand maximum. Mais c’est chouette ! »

Croisée à la fin du match, la grand-mère Dafne, les yeux presque humides et dépassée par l’ampleur des événements, n’en finissait pas de s’extasier : « Moi ça ne me fatigue pas de voyager. J’adore voyager, j’ai l’habitude. En Argentine, 1 000 kilomètres, c’est vraiment rien ! »

Dafne, la grand-mère, et Andre, le frère de Marco. / Alessandra Tarantino / AP

« Ma grand-mère? Elle n’a aucune idée de ce qu’est le tennis. Elle n’a su que c’était la fin du match qu’après avoir vu que tout le monde applaudissait. J’espère qu’elle va bien, je ne voudrais pas qu’elle meure de stress », rigolait son petit-fils.

Mercredi, il affrontera l’Italien Marco Cecchinato, avec l’espoir de parvenir à se hisser au troisième tour, sur lequel il a toujours buté jusqu’ici en Grand Chelem. « Je ne ressens aucune pression. Je sais que c’est une excellente opportunité pour avancer. Les deux dernières fois, j’ai perdu au deuxième tour ici. Plus tu es stressé, moins tu as de chances de gagner. Donc maintenant, il va falloir que je m’entraîne à nouveau, que je me repose, bien sûr, et je suis sûr qu’on se reverra mercredi... »

Quand bien même il perdrait au deuxième tour, il est assuré de repartir avec un chèque de 79 000 euros. Cela valait bien un petit aller-retour.