Un tennisman français durant une scéance de capture vidéo de mouvements, pour le jeu « Tennis World Tour ». / Bigben Interactive

Ah, que les choses étaient simples autrefois. En 1968, l’ère Open débute, avec l’ouverture des tournois du Grand Chelem aux professionnels. Quatre ans plus tard, un simulateur de jeu de raquettes constitué seulement de deux rectangles et un point, Pong, devient le premier succès mondial de l’industrie naissante des jeux vidéo. Quatre décennies plus tard ? Si le sport n’a guère évolué, les jeux de tennis, eux, ont fait un spectaculaire bond en complexité.

Au point de se transformer en source de migraine pour leurs créateurs, chargés d’imiter la réalité avec leurs outils obscurs à eux, qui n’ont rien d’un cordage de raquette. « Le réalisme vient des formules mathématiques décrivant la physique de balle », explique Emmanuel Rivoire, l’homme-orchestre derrière la série Tennis Elbow :

« Cela demande beaucoup de neurones et de tests. Un simple lob qui ne rebondit pas assez haut, et cela ne paraît plus du tout crédible. »

Derrière le moindre échange en apparence bénin, des calculs complexes évaluent la trajectoire, la vitesse ou encore la précision de la balle. / Mana-Games

Etienne Jacquemain et Romain Ginocchio, respectivement directeur créatif et concepteur en chef du studio parisien Breakpoint, dont le premier jeu Tennis World Tour a été publié mardi 22 mai, évoquent un genre aux spécificités complexes pour eux.

« Dans le football, il faut gérer une équipe entière et surtout les contacts physiques entre joueurs, ce qui est très pénible à mettre en place. Mais dans le tennis, ce sont des effets et des courbes très prononcées, et une caméra plus rapprochée, ce qui fait que le moindre souci d’animation est visible. »

« Simuler un humain, ça prendrait des dizaines d’années »

Animation ? Le terme ne cesse de revenir. Car si dans la réalité, le cerveau humain calcule intuitivement les mouvements pour frapper correctement la balle, en jeu vidéo, il en va autrement. « Il faudrait simuler un humain, et ça, c’est de la recherche fondamentale, il y en a pour des dizaines d’années », plaisante Etienne Jacquemain. A la place, programme informatique oblige, les tennismen virtuels sont mus par des règles de programmation où se mélangent expertise technique et sens de l’illusion.

Comme l’ont remarqué certains joueurs, raquette et balle ne se touchent pas toujours, dans les simulations de tennis. / @victorMaje

Parfois, un léger manque de réglages, un ralenti méticuleux en gros plan ou encore un simple bug trahit la matrice derrière ces matchs de pixels. « Il n’y a pas de contact entre la raquette et la balle dans Tennis Elbow, en réalité ce sont des boîtes de collision qui se touchent », confie ainsi Emmanuel Rivoire.

Le programmeur sis à Romans-sur-Isère, dans la Drôme, a d’ailleurs longtemps travaillé avec des quadrilatères qui se renvoient la balle, avant de les remplacer par des tennismen en 3D dans la version commerciale.

Côté matrice, la série « Tennis Elbow » oppose deux caisses 3D, remplacées à l’écran par des tennismen animés. / Mana-Games

Sessions d’enregistrements de vrais sportifs

De leur côté, Etienne Jacquemain et Romain Ginocchio ont opté pour la stratégie inverse : enregistrer des milliers de mouvements humains en modélisant deux Français en action classés aux alentours de la centième place à l’ATP, grâce à une célèbre technique baptisée motion capture. Des points sont placés sur leurs corps, et la caméra traque et enregistre ceux-ci durant leurs déplacements, ce qui permet d’obtenir des animations extrêmement réalistes.

Une fois intégrés dans le programme, ils constituent un « nuage de milliers de coups possibles », dans lequel le jeu va piocher celui qui correspondra le mieux à l’angle du buste, à la vitesse du sportif, à la position de la balle, et accessoirement, aux boutons activés par le joueur sur sa manette. « Si la seule combinaison qui convient est une animation où le joueur frappe la balle en bout de course, c’est celle qui sera affichée », explique Romain Ginocchio.

Grâce à la motion capture, « Tennis World Tour » peut retranscrire les mouvements réels d’un joueur, enregistré en action. / Bigben Interactive

Ce n’est pas une recette évidente, car les animations enregistrées ne correspondent pas nécessairement à l’infinité des situations possibles. Par exemple, ce magnifique smash en revers rend probablement très bien dans le vide, mais il se peut qu’en cours d’échange, sa vitesse soit inadaptée au passing adverse, ou que le joueur soit mal situé par rapport à la balle.

Les petits « trucs » d’illusionnistes

Les simulations de tennis peuvent alors tricher. Dans certains, il arrive par exemple que certains joueurs opèrent de microtéléportations, à peine visibles à l’œil nu, pour aligner parfaitement la star virtuelle avec la balle au moment de la frapper. Dans d’autres, c’est une animation improvisée – forcément peu naturelle – qui sert à faire le raccord entre la marionnette qui sert de tennisman et une balle très incommode.

Dans la série « Virtua Tennis », les nombreux plongeons sont un moyen bien commode pour réduire la distance entre la raquette et la balle. / SEGA

Tennis World Tour a son propre dosage : 90 % d’animations préenregistrées et 10 % de blending (« mélange »), ces mouvements de raccords élastiques, limités par des contraintes d’angle et d’allonge pour éviter l’impression de sportifs entièrement en caoutchoucs.

Il n’existe pas de solution miracle à chaque situation, et pourtant les développeurs savent qu’ils seront jugés sur le réalisme télévisuel. « C’est plus facile de faire un jeu arcade », soupirent les créateurs de World Tennis :

« “Mario Tennis”, en termes d’animation, comme c’est du cartoon, ce n’est pas grave si les personnages glissent ou ont des coups déformés. Alors que dans une simulation, les joueurs attendent de Federer qu’il ait exactement la même gestuelle que Federer. »

Avantage de la série « Mario Tennis » : personne n’attend de Mario que ses gestes soient exactement ceux d’un tennisman professionnel. / Nintendo

Les développeurs de Tennis World Tour ont toutefois leur petite fierté : leurs compétiteurs de pixels commencent à armer leur coup en pleine course, là où la plupart des titres considèrent régulièrement le déplacement et la frappe comme deux mouvements distincts.

Reste ensuite à renvoyer la balle correctement. Et là, c’est une affaire de susceptibilité qui entre en jeu. « Dans une partie réelle, les fautes directes sont nombreuses, signale Emmanuel Rivoire. Mais si on s’y tient, cela énerve les joueurs. Dans mes jeux, il faut vraiment que le joueur soit très mal placé pour qu’il fasse faute. Mais si la balle ne va jamais dans le filet, ce n’est pas très réaliste non plus. » Décidément, ce bon vieux Pong se posait beaucoup moins de questions.

Alors que Roger Federer prépare un magnifique revers à une main... ah non, c’est « Pong ». / Wikipedia