Emmanuel Macron avait reçu Fayez Al-Sarraj (à gauche), le chef du gouvernement d’accord national, et le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est de la Libye, à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), le 25 juillet 2017. / JACQUES DEMARTHON / AFP

Les grands protagonistes de la crise libyenne devraient tous être présents, mardi 29 mai, à l’Elysée pour une réunion internationale de trois heures à l’initiative de la présidence française, sous l’égide de l’ONU, afin de « créer les conditions d’une sortie de crise » dans un pays toujours en plein chaos, sept ans après la chute et la mort du dictateur Mouammar Kadhafi.

L’objectif de ce rendez-vous diplomatique inédit est d’ouvrir la voie à des élections législatives et présidentielle avant la fin de l’année. Le dossier libyen est, depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron, une priorité de la diplomatie française. « Le statu quo est intenable car l’instabilité en Libye est une menace systémique pour l’Europe, l’Afrique du Nord et le Sahel », souligne l’Elysée évoquant aussi bien la menace terroriste que les trafics de migrants.

Fayez Al-Sarraj, chef du gouvernement d’accord national (GAN), seul reconnu par la communauté internationale – mais dont l’autorité ne s’exerce que partiellement sur la seule Tripolitaine (Ouest) –, et le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque (Est), seront à nouveau côte à côte avec Emmanuel Macron, près d’un an après la conférence qui les avait réunis, le 25 juillet 2017. A l’époque, le président français avait réalisé son premier coup diplomatique en parvenant à organiser ce face-à-face improbable entre les représentants des deux pouvoirs rivaux qui se déchirent en Libye.

« Le statu quo est intenable car l’instabilité en Libye est une menace systémique pour l’Europe, l’Afrique du Nord et le Sahel », souligne l’Elysée

Il y avait une part d’affichage mais cette médiation à chaud a amorcé une dynamique. Cette fois seront aussi présents Aguila Salah Issa, le président de la Chambre des représentants, élue démocratiquement en 2014 et repliée à Tobrouk, et Khaled Al-Mishri, président du Conseil d’Etat, une instance consultative basée à Tripoli. Les représentants des plus hautes institutions libyennes sont donc tous là. « Cette réunion vise à les mettre face à leurs responsabilités », explique l’Elysée.

La nouvelle feuille de route commune est centrée sur le processus électoral, élément-clé de la stratégie de sortie de crise du chef de la mission de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé. En la signant, les participants à la réunion de mardi s’engageront devant la communauté internationale.

Au total, vingt pays – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Russie), l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Egypte, le Tchad, le Niger, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, les Emirats arabes unis, le Qatar, l’Arabie saoudite, le Koweït, la Turquie et Malte – et quatre organisations internationales (Union européenne, ONU, Union africaine et Ligue arabe) seront représentés à Paris. « Tous conviennent que le statu quo n’est pas tenable. Si on y arrive, ce sera une étape décisive et une vraie réussite pour les Libyens », estime un diplomate.

Cette feuille de route, finalement resserrée en huit points au lieu des treize initialement envisagés, insiste sur l’organisation des scrutins et surtout sur leur sécurisation. Le document évoque une vaste simplification institutionnelle dans un pays qui, depuis la chute de Kadhafi, a, selon le mot d’un diplomate, « sédimenté » parlements et gouvernements. Un des points évoque « l’unification des forces armées » que les Egyptiens s’efforcent de promouvoir depuis des mois en parrainant des réunions au Caire entre officiers libyens de l’Est et de l’Ouest.

Critiques virulentes

Un grand flou demeure en revanche sur la nouvelle Constitution, adoptée en juillet 2017 par une mini-assemblée constituante mais qui attend toujours d’être validée par un référendum. Une partie de la Chambre de Tobrouk s’y oppose en raison de certaines de ses clauses – portant notamment sur la double nationalité d’un candidat et sur la durée de sa résidence en Libye –, qui aboutiraient de facto à rendre le maréchal Haftar, réfugié une vingtaine d’années aux Etats-Unis, inéligible pour un scrutin présidentiel. Faute de la levée de ce verrou à court terme, la tenue d’un scrutin présidentiel risque d’avoir lieu avant même la validation de la Constitution censée définir les prérogatives du futur chef de l’Etat.

Cette initiative française s’inscrit dans un contexte diplomatique autour de la Libye où affleurent crispation et agacement. L’activisme de Paris, qui s’accompagne de gestes unilatéraux, « suscite l’énervement de ses partenaires occidentaux », relève un diplomate en poste à Tunis. En particulier, l’insistance de la France à vouloir organiser conjointement un scrutin présidentiel et des législatives avant la fin de l’année a été jugée non conforme au consensus qui s’était dégagé ces dernières semaines parmi les chancelleries impliquées dans le dossier libyen à s’en tenir dans un premier temps au seul scrutin parlementaire.

La focalisation de Paris sur la présidentielle est perçue comme une faveur concédée au maréchal Haftar qui n’a jamais fait mystère de son penchant pour le pouvoir personnel. La proximité de la France à l’égard de l’homme fort de l’Est libyen, que Jean-Yves Le Drian avait érigé – dès l’époque où il était ministre de la défense de François Hollande – en partenaire dans la « lutte antiterroriste », n’en finit pas de susciter la perplexité de ses alliés, et pas seulement à Rome, dont la rivalité avec Paris sur le dossier libyen est notoire.

Sur le terrain, les interrogations n’en sont pas moins vives. Les critiques les plus virulentes adressées à la rencontre de l’Elysée émanent de Misrata, la métropole portuaire de la Tripolitaine, où se concentrent les forces les plus hostiles au maréchal Haftar. Aux yeux de ces dernières, l’invitation à Paris d’un officier rebelle, placé sur un pied d’égalité avec des titulaires de fonctions civiles, est problématique.

Enfin, l’approche même consistant à traiter avec des personnalités, « sans attendre que se forgent des arrangements plus larges émanant de la société libyenne », selon la formule d’un praticien des médiations locales, est tenue pour éminemment fragile. L’illustration en est la posture de plus en plus précaire du premier ministre Sarraj, contesté ces derniers jours par les chefs (Haythem Tajouri et Abdel Ghani Al-Kikli) de deux des trois principales milices qui l’ont jusque-là soutenu dans la capitale Tripoli.