Des étudiants d’Oxford, lors de la compétition d’aviron organisée par l’université britannique depuis plus de deux cents ans. / Noé Michalon

Diplômé de Sciences Po, Noé Michalon tient une chronique pour Le Monde Campus, afin de raconter son année à l’université d’Oxford, où il suit un master en études africaines.

C’est une tradition vieille de deux cents ans, une courte durée à l’échelle de l’université, mais une éternité dans l’histoire du sport. Depuis 1815, sur quatre jours, les colleges d’Oxford s’affrontent à chaque printemps lors des fameuses Summer VIIIs (prononcez « Summer Eights », comme le nombre de rameurs), compétition historique d’aviron sur l’Isis, un affluent de la Tamise, qui suscite de nombreux jeux de mots sulfureux des étudiants depuis quelques années. Car oui, évidemment, je ne pouvais pas passer une année dans cette ville sans mentionner la ferveur qu’engendre ce sport.

A la clameur de kermesse qu’on peut entendre en approchant du petit port fluvial, on ne tarde pas à reconnaître où J. K. Rowling a puisé son inspiration pour décrire les tournois de quidditch. Les petites tours abritant bateaux et supporteurs battent toutes le pavillon de leur college et un commentateur s’égosille dans un mégaphone – comme toujours – saturé et nasillard. Il faut aussi rajouter les volutes de fumée des nombreux stands de grillades, des cigarettes, et des peaux calcinées par un surprenant soleil anglais. Et comme au quidditch, l’action se déroule bien loin du public, qui ne comprend pas vraiment les règles non plus.

To bump or not to bump

Car il s’agit là d’une course bien complexe. Faute de partir toutes alignées, les fines coques fuselées s’échelonnent dans un ordre assez cabalistique, prenant en compte les performances des jours et années précédents. Le but n’est pas nécessairement d’arriver avant tout le monde, mais plutôt de « bump » (cogner, heurter) l’adversaire le plus proche devant soi, pour espérer pouvoir partir en meilleure position à la prochaine course.
Mais moi qui m’attendais à des joutes endiablées où s’éperonneraient sans merci les avirons, j’avais tout faux. En guise de bump, il ne s’agit que de dépasser l’adversaire, lequel est alors sommé de s’arrêter, vaincu. Et ici, ce sport, « it’s a thing », comme disent les Anglais quand il s’agit de souligner l’importance de quoi que ce soit.

Avec plus de 10 000 spectateurs rassemblés sur les deux rives du cours d’eau et 1 500 participants, c’est sous une nuée de cris que se faisaient accueillir, fourbus, ces rameurs de l’extrême. Car si le niveau peut varier dans les cinq différentes divisions du championnat, il reste globalement très élevé. Les avirons donnent presque l’impression de survoler l’eau.

Depuis mon arrivée, en septembre, j’admirais ces camarades de mon college – très porté sur le sport – qui se levaient à cinq heures du matin plusieurs fois par semaine, sous la pluie, la grêle ou la neige, pour s’entraîner en vue de ces quatre jours de gloire qui les attendraient au printemps. Et il n’est pas rare de voir participer des champions, littéralement : une camarade du college de Pembroke s’époustouflait de ramer aux côtés de deux membres de l’équipe olympique anglaise, quand mon college, Kellogg, s’enorgueillit de compter parmi ses alumni un champion olympique et une championne paralympique, double championne du monde.

De tels niveaux de compétition étalés sur deux siècles ne sont pas sans créer d’importantes rivalités entre les différentes équipes, malgré l’ambiance bon enfant dans les tribunes et derrière les rames, avec leur (f) lot d’anecdotes à l’appui. L’équipe de New College (qui n’est plus si new, puisqu’il fut fondé en pleine guerre de Cent Ans) revêt ainsi les couleurs violettes de la couronne de Suède depuis un siècle, suite aux Jeux olympiques de 1912, à Stockholm, me raconte une compatriote passionnée.

Etrange breuvage violet

A cette occasion, l’équipage, qui représentait l’Angleterre, avait fini en deuxième position, derrière l’équipe d’un autre college d’Oxford, Magdalen, qui avait manqué de fair-play en acceptant un tirage au sort favorable, ce qui était bien mal vu dans l’esprit de tels gentlemen, à l’époque. Outré, le Roi de Suède préféra honorer les médaillés d’argent, en leur offrant de pouvoir ramer sous ses couleurs (criardes).

Si l’enjeu semble moindre aujourd’hui, l’affaire reste sérieuse. Il fallait quand même voir ces mines accablées, tête entre les genoux, de ces huit avironniers éliminés précocement dans leur fusée à la dérive. Certains colleges investissent également des sommes considérables pour construire des boat houses, ces fameuses tourelles dans lesquelles on range les esquifs, mais où peuvent loger des étudiants dans certains cas, qui n’ont alors plus qu’à sauter, au réveil, dans leur embarcation de plusieurs milliers de livres sterling – lorsqu’un feu ravagea, en 1999, l’une d’entre elles, les dommages ont ainsi été estimés à plus d’un million de livres sterling.

Mais comme chaque événement ici, tout est prétexte à communier. Les litres de cidre et de bière pourraient créer un nouvel affluent à la Tamise s’ils n’étaient ingérés par les aficionados, qui ont pour tradition de boire à même la rame un étrange breuvage violet (un autre hommage aux couleurs suédoises ?) avant de « plonger » dans l’Isis.

La communion finie, chacun repart vers ses examens, en cette période difficile pour tous. Car fin mai, les examens approchent, avec, à la clé, deux années entières de cours à réviser pour les étudiants en licence. Le soir même, mon college organisait ainsi une soirée astucieusement nommée « wine and whine », au concept aussi français que plaisant : boire du vin en se plaignant. La devise estudiantine locale n’a jamais été aussi vraie : « Work hard, play harder », travailler dur, s’amuser davantage.