Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit pour l’UE, à Derry, en Irlande du Nord, le 1er mai. / Niall Carson / Niall Carson/PA Wire/dpa

Avec la crise politique qui secoue l’Italie ou les menaces de guerre commerciale entre l’UE et les Etats-Unis, on en oublierait presque la négociation du Brexit. Pourtant, elle ne va pas non plus très fort. Et à moins de dix mois du jour J du divorce, les Européens s’alarment, tant la discussion avec Londres a viré ces dernières semaines au dialogue de sourds.

Les plans britanniques pour la relation future avec l’Union ou pour éviter le retour d’une frontière avec la République d’Irlande, condition sine qua non de l’accord de divorce ? « Ils sont fantaisistes », a asséné, à bout de patience, un officiel européen en fin de semaine dernière, à l’issue de trois jours de discussions avec les Britanniques, manifestement inutiles. Les négociateurs n’ont pas non plus avancé sur des sujets tout aussi cruciaux, comme la coopération future en matière de défense, de sécurité, de justice ou d’échange de données.

« Ces commentaires n’aident pas », a réagi Philip Hammond, le ministre britannique des finances, vendredi 25 mai, en marge d’une réunion avec ses homologues européens à Bruxelles. « Nous sommes tout à fait conscients de la nécessité de faire des progrès significatifs pour le Conseil européen de juin. C’est pour cela que nous sommes là », a t-il ajouté. « Une négociation ne peut pas être une partie de cache-cache, (…) le Royaume-Uni doit regarder la réalité du Brexit en face », a répondu à distance Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit pour l’UE, le lendemain. « Pour négocier de manière efficace, vous devez savoir ce que l’autre partie veut », a expliqué le Français depuis Lisbonne.

Les Vingt-Sept et Londres avaient pourtant fait des progrès importants, début 2018, en s’entendant sur une période de transition de deux ans après le 29 mars 2019 – date du Brexit. Bruxelles avait même commencé à esquisser à grands traits la « relation future » avec Londres, un accord de libre-échange doublé de partenariats dans la défense, la sécurité…

Club

Mais la négociation bute aujourd’hui sur deux conceptions différentes du Brexit. Pour les Européens, qui regrettent toujours le choix des Britanniques, il signifie que le Royaume-Uni va devenir un pays tiers. Il ne sera plus membre du club, n’aura plus à respecter la tutelle de la Cour de justice de l’Union, les quatre libertés de circulation liées au marché intérieur (personnes, biens, capitaux et services). Mais il n’aura plus non plus le droit d’intervenir dans les prises de décision de l’UE. Logique, du point de vue européen.

Au contraire, Londres continue d’exiger d’être traité de manière spéciale après sa sortie, quasiment comme un Etat membre. A Bruxelles, cette position est assimilée à du déni pur et simple : les Britanniques s’aperçoivent, dossier par dossier, qu’ils seront moins bien hors de l’UE que dedans, et du coup posent des conditions jugées inacceptables.

La polémique autour de Galileo est parlante : les Britanniques réclament le maintien de l’accès à ce programme communautaire de radionavigation, destiné à rendre l’Europe indépendante du système américain GPS. Ils réclament même l’accès aux signaux satellites, ce qui leur donnerait le pouvoir exorbitant de les couper en cas d’urgence. Impossible pour Bruxelles : « Londres disposerait d’informations que même les Etats membres n’ont pas ! », s’insurge un officiel européen. D’accord pour aménager un accès futur à Galileo, ajoute-t-on, mais dans un cadre légal spécifique, encore à construire avec Londres, celui des Etats tiers.

Le risque du « no deal »

Le sujet irlandais reste tout aussi préoccupant : Theresa May s’est engagée à proposer une solution concrète afin d’éviter tout retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Mais Bruxelles l’attend encore, des mois après avoir jugé irréaliste l’option « technologique » poussée par Londres, censée permettre la vérification des biens traversant la frontière sans postes frontières physiques.

Un nouveau cycle de discussions doit démarrer début juin. Si les blocages persistent, la perspective d’un accord final pour octobre, laissant le temps aux députés britanniques et au Parlement européen de le valider, s’éloigne. Et, inversement, le risque du « no deal » en mars 2019 augmente.