Sous un pont de la Porte de la Villette, à Paris, le 20 avril / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Le campement du Millénaire, près de la Porte d’Aubervilliers à Paris, où sont entassés plus de 1 500 migrants sera évacué mercredi 30 mai. Le point sur la situation en dix questions.

  • Pourquoi le démantèlement du campement a autant traîné ?

Ce campement, né en décembre 2017 sur les bords du bassin de la Villette (19e arrondissement), s’est trouvé au cœur du bras de fer très politique entre le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb et la maire de Paris, Anne Hidalgo. La Place Beauvau laissant entendre que c’était à la Ville de donner le signal du démantèlement, alors que les opérations précédentes s’étaient faites à l’initiative de l’Etat. Ce débat levé, « l’opération de mise à l’abri et de contrôle des situations administratives » peut donc avoir lieu.

  • Quelle sera la stratégie opératoire mercredi matin ?

La stratégie sera la même que pour les dernières évacuations. Paris en a connu vingt-neuf depuis juin 2015. Les exilés du campement du Millénaire vont être priés tôt mercredi matin de monter dans des bus qui se dirigeront vers les 18 gymnases « réquisitionnés » en Ile-de-France, où 2 200 lits de camp les attendent. Paris a mis à disposition cinq gymnases, soit 800 places ; la Seine-et-Marne trois ; les Yvelines, le Val-de-Marne, l’Essonne et le Val-d’Oise deux chacun ; les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis un chacun.

L’opération est menée conjointement par la préfecture de région, la Préfecture de police de Paris, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), les associations opérateurs de l’Etat (France Terre d’asile entre autres) et la Mairie de Paris.

  • Que se passera-t-il ensuite ?

Rien de plus que d’ordinaire, expliquent plusieurs sources au Monde. L’OFII interviendra dans les gymnases pour un relevé des situations administratives. Là, deux modus operandi s’affrontent. Le premier voudrait que ce contrôle des identités et des statuts ait lieu dès mercredi après-midi ; les tenants du second courant estiment qu’il faut laisser trois ou quatre jours de répit aux migrants avant de leur demander s’ils sont réfugiés, demandeurs d’asile, déboutés de l’asile, dublinés (leurs empreintes enregistrées dans le fichier Eurodac montrent qu’ils sont entrés en Europe par un autre pays qui devrait être responsable de leur demande d’asile) ou s’ils viennent d’arriver.

Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a baptisé son opération « mise à l’abri et de contrôle des situations administratives » pour laisser entendre que la seconde partie, celle des contrôles, est nouvelle. Dans les faits, chaque démantèlement a été suivi depuis deux ans d’une vérification des statuts, pour savoir vers quelle structure orienter chaque personne.

  • Que se passe-t-il pour les autres campements parisiens ?

Dans la capitale, trois campements principaux rassemblent plus de 2 000 migrants. Celui du Millénaire en aurait 1 500 ou 1 600. C’est le plus important en France aujourd’hui. Il sert de base arrière à Calais où il est difficile de survivre, tant la pression policière est lourde. Les exilés viennent se reposer à Paris, avant de tenter à nouveau le passage vers Londres.

Le campement du Canal Saint-Martin compte quelques centaines d’Afghans et pourrait être démantelé dans la foulée de celui du Millénaire. Celui de la Porte de la Chapelle est plus compliqué à appréhender, car il mêle des populations très marginalisées.

  • Qui vit dans ces campements parisiens ?

Le Millénaire compte une majorité de ressortissants africains (des Erythréens, des Soudanais et Guinéens). Ce sont des ressortissants de nationalités qui très souvent sont reconnus réfugiés. Beaucoup arrivent directement d’Italie. Vivent aussi là des sans-papiers qui travaillent dans le bâtiment, la restauration, mais n’ont pas de logement.

Les Afghans du Canal Saint-Martin ont un profil différent. Une partie d’entre eux est passée par l’Allemagne, la Suède ou l’Autriche où ils ont été déboutés de l’asile. Ils viennent tenter une seconde chance en France, surfant sur l’absence d’harmonisation européenne de l’asile.

  • Qu’arrivera-t-il après le passage par les gymnases ?

Les demandeurs d’asile qui seraient au nombre de 500 parmi les 2 000 migrants de la capitale vont être hébergés dans un Centre d’accueil et d’orientation (CAO) ou un Centre d’accueil et d’examen des situations (CAES). La loi oblige l’Etat à les héberger, même si ce dernier se dérobe à ce devoir depuis des mois.

Si l’Etat appliquait ses discours, il expulserait les déboutés de l’asile, et renverrait vers les autres pays européens ceux qui y ont laissé des empreintes enregistrées dans le fichier Eurodac (les « dublinés »). Les faits sont moins simples. Si 982 migrants ont bien été expulsés vers l’Italie en 2017 (869 vers l’Allemagne), Rome les accepte de moins en moins. Et comme cela a été signalé au préfet de police lors des réunions préparatoires à l’évacuation, par un des meilleurs connaisseurs des campements parisiens, « ceux qui sont effectivement renvoyés vers l’Italie sont de retour en quarante-huit ou soixante-douze heures sur les campements ».

Reste par ailleurs le problème des réfugiés. Faute de politique d’intégration, nombre d’entre eux dorment à la rue car ils n’ont pas accès à un logement. Selon plusieurs sources, rien n’est prévu pour eux dans le cadre de cette évacuation. Ils risquent donc d’être à nouveau présents au prochain démantèlement.

  • Tous les migrants monteront-ils dans les bus ?

C’est l’incertitude, notamment pour les déboutés et les « dublinés ». Certains peuvent avoir peur d’être renvoyés et préférer la rue à quelques jours dans un gymnase. Reste que le camp du Millénaire a plutôt eu tendance à grossir ces derniers jours, ce qui laisse penser que beaucoup d’exilés seraient partants pour un hébergement et un examen de leur situation.

Le gouvernement risque de communiquer sur ceux qui ne souhaitent pas être mis à l’abri pour accréditer les éléments de langage qu’il distille sur la volonté des migrants des campements parisiens de se soustraire à tout contrôle administratif.

  • Est-ce la dernière évacuation comme l’a promis le ministre de l’intérieur ?

Depuis plusieurs mois, le directeur de France Terre d’asile répète que « si l’on ne veut pas la création de nouveaux campements, il faut penser un dispositif de pré-accueil réparti en plusieurs points du pays ». De nombreuses autres voix proposent la même stratégie mais le ministère de l’intérieur s’y oppose, craignant « l’appel d’air ». La demande de Gérard Collomb à Anne Hidalgo d’installer des dispositifs empêchant les campements de se reformer dans la capitale n’empêchera pas les 50 arrivées quotidiennes en France.

Les déboutés de l’asile, qui ne sont pas tous renvoyables, eût égard à la situation de leur pays, rejoindront une nouvelle fois les campements, une fois les premières tentes posées… Les « dublinés », qui attendent entre six et dix-huit mois pour redéposer une demande d’asile en France, sont le cœur du problème à cause de leur nombre.

  • Qui sont les « dublinés » ?

Ceux qui ont laissé leurs empreintes dans un autre pays d’Europe seraient 40 000 à attendre de redéposer une demande dans l’Hexagone. La France met beaucoup d’énergie à les renvoyer, mais sans succès. Certains ont juste été interceptés en traversant l’Italie, d’autres ont été déboutés d’une demande d’asile ailleurs en Europe et viennent chercher une seconde chance.

Tant qu’il n’existera pas d’harmonisation européenne des politiques d’asile, ce problème subsistera. La Commission européenne aurait dû arriver à un accord sur ce sujet en juin, mais compte tenu de la situation politique italienne, c’est quasi exclu.

  • Paris est-elle une mauvaise élève de l’accueil ?

Dans la polémique qui oppose la Place Beauvau et la Ville de Paris, le ministère de l’intérieur reproche souvent à la capitale de n’accueillir que 2 % des Centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). Ce chiffre est vrai mais tronque la réalité. Si on prend le taux d’hébergement d’urgence, rétorque la mairie, on peut dire que Paris héberge 35 % des migrants d’Ile-de-France, première région en France pour l’accueil. En revanche, la capitale ne met pas beaucoup de logements HLM à disposition des réfugiés.