Dans son champ de coton, Mathieu Idogo attend la pluie qui devrait enfin nourrir la terre ocre de son village, dans le sud du Burkina Faso. « Il est tombé seulement 14 mm la semaine dernière, il faut au moins le triple pour ramollir le terrain », explique ce producteur de Guiaro, à une quarantaine de kilomètres de la frontière avec le Ghana, en examinant la poignée de sable qu’il vient de ramasser. Il devra encore patienter avant de labourer sa parcelle pour la prochaine saison agricole.

« On prie Dieu pour avoir plus de pluie cette année », confie ce père d’une famille de quatre enfants qui cultive le coton depuis vingt ans. Car lors de la dernière saison, plusieurs épisodes de sécheresse ont frappé le pays. « Le mois d’août 2017 a été particulièrement dur, avec une période d’une semaine à sec », observe Mathieu Idogo. Propriétaire de deux parcelles de six hectares, il se désole : « Je n’ai réalisé que 668 500 francs CFA [1 019 euros] de recettes, contre 1,5 million de francs CFA l’année précédente. C’est une perte énorme. Je suis très inquiet, je ne sais même pas comment on va démarrer la saison qui arrive. »

La campagne cotonnière 2017-2018 a été un choc pour les paysans burkinabés. Le 28 avril, l’Association interprofessionnelle du coton du Burkina (AICB), rassemblant producteurs et égreneurs, a dressé un bilan inquiétant : la production de coton, principal produit d’exportation du pays, a baissé de 10 % par rapport à la campagne précédente, portant le rendement moyen à « un niveau historiquement bas de 696 kg à l’hectare, contre 920 kg en 2016-2017 ». Conséquence : le Burkina Faso, jusqu’alors premier producteur africain de coton, a cédé sa place au Mali.

Difficile de se procurer des insecticides

Mais la sécheresse n’est pas le seul fléau qui accable Mathieu Idogo. Il y a deux ans, il a vu apparaître pour la première fois des chenilles légionnaires sur sa parcelle : « Elles sont arrivées en août [pendant la saison des pluies] et en trois jours elles ont détruit le champ », rapporte-t-il.

Ces larves de papillon, détectées pour la première fois en Afrique en 2016, s’attaquent au coton, au maïs, au riz, au sorgho et aux cultures potagères. Elles font des ravages dans les champs des paysans burkinabés, déjà touchés par les chenilles carpophages et les mouches blanches. Pour les éliminer, Mathieu Idogo utilise des pesticides, parfois difficiles à se procurer. « Au moment où je vous parle, il n’y a pas de Titan, le produit que j’utilise, dans ma commune. On espère être livré d’ici l’été », s’inquiète le producteur, également maire adjoint de Guiaro.

A trois kilomètres de là, Deborah Neyaga Kouboumon, 67 ans, produit du coton depuis quarante ans. Le dos à peine courbé, un pagne noué à ses hanches fines, elle a l’agilité de ceux qui se sont esquintés à ramasser la fibre blanche des petits arbustes. Pour cette veuve, mère de huit enfants et grand-mère de sept petits-enfants, le problème est avant tout financier. « Je n’ai pas les moyens d’acheter assez d’engrais et de pesticides », explique-t-elle, assise en tailleur à l’ombre d’un caïlcédrat, près des cases en terre séchée et en chaume de son village.

A 3 000 francs CFA le litre d’insecticide (4,57 euros), 15 000 francs CFA le sac d’engrais de 50 kg et 1 200 francs CFA celui de semence, difficile pour certains petits producteurs de se fournir auprès des sociétés cotonnières. Avec son maigre lopin de terre de 0,25 hectare, Deborah Neyaga Kouboumon gagne environ 50 000 francs CFA par an. « C’est difficile mais on n’a pas le choix, on se débrouille, je récolte du niébé et des arachides pour compléter », indique celle qui préside un groupement d’une soixantaine de femmes productrices de coton de la commune. « Elles ont gagné le prix du meilleur rendement en 2012 et 2013 ! », rappelle Mathieu Idogo.

Mais aujourd’hui, le coup est dur. « Ma récolte a baissé de 60 % par rapport à l’année dernière », détaille Deborah Neyaga Kouboumon. « Tout le département a été touché par la chute de la production. Nous arrivons à 4 000 tonnes de coton cette année, contre 700 000 tonnes il y a dix ans. Les agriculteurs sont inquiets », souligne Nenyaga Ayaga, le président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB) dans le département de Guiaro, qui comptabilise près de 7 000 exploitants.

Des aléas climatiques de plus en plus intenses

Au siège de l’AICB, à Ouagadougou, le secrétaire à l’information Ali Compaoré, par ailleurs directeur de la Socoma, l’une des trois grandes sociétés cotonnières du pays, analyse : « C’est du jamais-vu. Il y a eu deux phénomènes cette année : la faible pluviométrie et l’explosion parasitaire, le manque de pluie ayant favorisé la prolifération des ravageurs. » Le Grand Ouest, qui représente près de 80 % de la production nationale, a été le plus durement touché.

Pour aider les producteurs, le gouvernement a annoncé en avril « un soutien exceptionnel de 14 milliards de francs CFA » (21,3 millions d’euros) destiné à subventionner les intrants et à régler les impayés. Une assurance agricole devrait également voir le jour « dans l’année » pour indemniser les agriculteurs en cas de sinistre.

Pour Moussa Sanon, chercheur à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (Inera) de Ouagadougou et spécialiste en climatologie agricole, il faut se préparer à des aléas climatiques de plus en plus intenses dans la région : « On assiste à une aggravation des phénomènes ces dernières années, les sécheresses sont de plus en plus extrêmes et les inondations catastrophiques. Et au Burkina Faso, nous sommes d’autant plus vulnérables que nous avons des sols pauvres. »

D’ici à 2020, les rendements de l’agriculture pluviale pourraient diminuer de 50 % dans certains pays africains sous l’effet du changement climatique, selon les prévisions de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).