Pierre Rissient – secrète mais immense figure de la cinéphilie française, généreux et infatigable découvreur de talents, ami des grands cinéastes américains, inlassable passeur du cinéma asiatique – est mort dans la nuit du 5 au 6 mai, à l’âge de 81 ans. Ce drame, par une cruelle ironie du sort, survint à quelques jours seulement de la projection par le Festival de Cannes de son film restauré Cinq et la peau, qui était sorti en 1982.

Celui qui, au titre d’attaché de presse, de distributeur, de producteur, de conseiller artistique, de tête chercheuse, connaissait comme de moins en moins de monde l’histoire entière du cinéma, celui qui s’activait comme personne pour que la flamme de la cinéphilie se maintienne à son plus haut niveau d’intelligence et de poésie, celui-là entretenait aussi le vœu de faire du cinéma.

Il n’est pas assuré que ce chapitre de sa carrière aventureuse soit le plus illustre. Il n’est pas pour autant anodin. Commencé comme assistant de Jean-Luc Godard sur A bout de souffle (1960), il se poursuit comme réalisateur en deux coups brefs, sans lendemain. One Night Stand (Alibis), tourné à Hongkong en 1977 mais jamais sorti. Puis Cinq et la peau, tourné à Manille, qui partage avec le précédent le goût de la rencontre entre Occident et Asie, dans un goût prononcé de mélancolie, de divagation et d’érotisme.

Tourné en équipe légère en 35 millimètres, Cinq et la peau fait déambuler un personnage nommé Ivan – qu’incarne l’acteur Féodor Atkine – dans les rues de Manille. A sa voix qui n’est pas audible se superposent, sur le ton du monologue intérieur, plusieurs voix off.

Contrat désaccordé

La juxtaposition étrange de ces voix et de ces images scelle un contrat désaccordé entre le monde et la conscience malheureuse qui le traverse, bercé par le Blue Moon de Billie Holiday. Entre le sexe et l’expression du dégoût de la société telle qu’elle tourne en ce début des années 1980, c’est l’oubli, la perdition, le violent exotisme de l’Asie, dans ses luxes comme dans ses vices, qui sont ici recherchés.

En vérité, Cinq et la peau – titre magnifique s’il en est, désignant un vin chinois – est le songe d’un lettré cinéphile, un journal intime transfiguré, dont les écarts, vus d’une époque aussi lointaine que la nôtre, sont entachés d’un dandysme un rien désuet.

Les poètes Eugène Guillevic et Lucie Abertini sont à l’écriture. Fernando Pessoa rôde aux carrefours. Eiko Matsuda, héroïne léonine de L’Empire des sens de Nagisa Oshima, est l’actrice principale. Le maître du cinéma philippin, Lino Brocka, apparaît en chauffeur de taxi. L’Asie et le cinéma étaient sans doute tout un pour Rissient, élixir enivrant d’une vie vécue comme à l’écart de soi-même.

Cinq et la peau de Pierre Rissient : bande-annonce
Durée : 01:34

Film français de Pierre Rissient. Avec Féodor Atkine, Eiko Matsuda (1 h 35). Le film est également réédité en DVD par Carlotta Films (à partir du 6 juin). Sur le Web : carlottavod.com/cinq-et-la-peau