« Une visite de solidarité. Je dirais même de double solidarité. » Mardi 29 mai, les premiers mots du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, ont annoncé la couleur de sa visite de deux jours au Mali, organisée à l’occasion de la Journée internationale des casques bleus. Une solidarité d’abord avec les 12 500 « soldats de la paix » qui participent depuis 2013 à la Minusma. Avec 99 casques bleus tués entre juillet 2013 et mars 2018 (et 358 grièvement blessés), la mission de l’ONU au Mali est l’opération la plus meurtrière menée par l’organisation internationale.

Mais pour M. Guterres, ce voyage est aussi une visite de solidarité avec un peuple malien éprouvé par une paix introuvable. Depuis plusieurs mois, la menace sécuritaire qui perdure dans le Nord s’est étendue au centre du pays. La zone menace de s’effondrer, agitée tant par les groupes terroristes que par les conflits intercommunautaires. Pour le secrétaire général de l’ONU, « le centre du Mali est aujourd’hui la clé, la solution du problème malien ».

L’instabilité sécuritaire suscite d’autant plus d’inquiétudes que dans deux mois aura lieu l’élection présidentielle. Un scrutin peu évoqué par le Portugais. « C’est volontaire », glisse son entourage. Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), et le patron des Nations unies sont de vieilles connaissances. En 1995, M. Guterres est premier ministre du Portugal quand IBK occupe le même poste au Mali. Quatre ans plus tard, les deux hommes se partagent la direction de l’Internationale socialiste : M. Guterres préside tandis qu’IBK occupe la vice-présidence.

Refus des Etats-Unis

Mais cette visite au Mali ne peut être politique alors que, quelques jours plus tôt, IBK a déclaré être candidat à un second mandat. « Nous ferons de notre mieux pour aider les autorités maliennes pour le bon déroulement des élections, même si je sais que les difficultés sont énormes », a simplement déclaré M. Guterres à sa sortie du camp de la Minusma de Sévaré, mercredi. Le message principal de sa visite se trouve ailleurs, à quelques encablures de ce camp, dans un bâtiment au-dessus duquel flottent les drapeaux des cinq Etats membres du G5 Sahel : Burkina, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad. Le poste de commandement de la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) aura été l’étape clé du voyage du secrétaire général.

Ce dernier a toujours défendu la mise en place de cette opération composée de 5 000 éléments des forces de défense et de sécurité des pays du G5 Sahel. Principalement chargée de lutter contre le terrorisme dans les espaces transfrontaliers de la zone, la FC-G5S est stratégique pour l’action des Nations unies au Mali. « Il y a un manque d’adéquation entre le mandat de la Minusma et ce qu’on nous demande de faire : on nous réclame de maintenir une paix qui n’existe pas, on en vient donc à être une force tampon, explique une source de l’ONU. Les actions de la Force conjointe pour contenir la menace terroriste aux frontières permettraient à la Minusma de faire son travail, c’est-à-dire de maintenir la paix. »

Depuis plusieurs mois, M. Guterres multiplie les appels à un financement onusien de cette force. Certes, 423 millions d’euros ont été récoltés auprès de donateurs internationaux lors de la conférence de Bruxelles, le 23 février. Mais ces contributions, volontaires, permettront d’assurer le fonctionnement de la FC-G5S pendant un an seulement. Pour les années suivantes, il faudra batailler pour mobiliser près de 115 millions d’euros par an. Un financement de la force par les canaux onusiens rendrait au contraire les contributions des pays membres de l’ONU obligatoires. Mais, au sein du Conseil de sécurité, les Etats-Unis ont exprimé à plusieurs reprises leur refus d’un financement onusien de la FC-G5S, jugeant ses objectifs trop flous. Aussi la résolution du Conseil de sécurité adoptée le 21 juin 2017 ne fait-elle que saluer l’initiative militaire du G5 Sahel.

Soutien logistique

C’est donc un compromis qu’il a fallu trouver. Un compromis qui a pris la forme d’un soutien logistique de la Minusma à la Force conjointe. Signé le 23 février, l’accord technique en définit les grandes lignes : évacuation médicale, ingénierie et déploiement d’une équipe onusienne au poste de commandement de la FC-G5S. Un accord jugé insuffisant par plusieurs hauts responsables, dont Maman Sidikou. Le 23 mai, devant le Conseil de sécurité, le secrétaire permanent du G5 Sahel a estimé que l’ONU devait fournir « un apport à un niveau plus approprié », passant par des « contributions obligatoires ». En vain.

« La visite d’Antonio Guterres au poste de commandement de la Force conjointe est un signal envoyé aux Etats membres du G5 Sahel. Un acte qui montre que les Nations unies ne les ont pas oubliés et que la Force conjointe reste dans l’agenda onusien malgré les refus successifs des Etats-Unis de financer ce mécanisme de sécurité », analyse Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Bamako.

Dans l’entourage du patron des Nations unies, on reconnaît que la case Conseil de sécurité est de plus en plus bloquée. « L’idée, c’est d’essayer de passer plutôt par d’autres organisations régionales pour financer », glisse-t-on. Au Mali, le Portugais a accéléré son plaidoyer pour un financement pérenne de la FC-G5S. « L’appui au Mali est un acte de générosité, de solidarité, mais c’est surtout un acte d’intérêt intelligent », a-t-il souligné, avant d’alerter : « Si le Mali s’effondre, les conséquences en matière de sécurité et de mouvements massifs de populations dans d’autres régions seront extrêmement difficiles, pour tout le monde. »