Le simulateur de tuerie scolaire « Active Shooter » a été retiré après deux jours de polémique. / ACID

La société américaine Valve, d’habitude très peu regardante sur le contenu des jeux vidéo publiés sur sa plate-forme aux plus de 100 millions de joueurs, Steam, a déréférencé mercredi 30 mai Active Shooter. Ce jeu de tir avait suscité une levée de boucliers en début de semaine en raison de son thème provocateur, une tuerie en milieu scolaire, et son principe sulfureux : il plaçait le joueur au choix dans la peau d’un membre des forces d’intervention ou du tueur, avec un compteur d’enfants et de policiers abattus.

Comme le relate le Washington Post, le titre, qui devait sortir officiellement le 6 juin, a suscité l’émoi et l’indignation aux Etats-Unis, notamment auprès des parents des enfants victimes de la tuerie de Parkland, en Floride. « J’ai vu et entendu beaucoup de choses horribles ces derniers mois depuis que ma fille a été victime d’une tuerie scolaire et est désormais morte, dans la vraie vie. Ce jeu est peut-être l’un des pires », a ainsi tweeté Fred Guttenberg, père de Jaime, une des 17 jeunes tués le 14 février dans le lycée Marjory Stonement Douglas en Floride.

Contexte de marché saturé

Valve s’est toutefois bien gardé de rentrer sur le terrain de l’émotion. Le géant américain du jeu sur ordinateur a justifié le retrait du jeu par les manquements répétés de son auteur, un développeur se faisant appeler Ata Beriyev. « Ata est un troll, avec un passif de tromperie des clients, de violation de propriété intellectuelle et de manipulation des notes utilisateurs », s’est justifiée l’entreprise dans un communiqué envoyé au site Motherboard, précisant qu’il avait déjà été banni par le passé de son site de vente.

« Nous avons découvert qu’il était revenu sous un nouveau nom alors que nous enquêtions sur la controverse autour de ce prochain titre. Nous ne voulons pas faire d’affaires avec des gens qui agissent de cette manière vis-à-vis de nos consommateurs. »

Ces dernières années, les jeux vidéo à contenu polémique se sont multipliés sur la plate-forme Steam. Ceux-ci répondent parfois moins à des aspirations créatives provocatrices qu’à un besoin de trouver de l’exposition médiatique, sur une boutique en ligne dont le niveau de saturation a encore battu un nouveau record en 2017 avec 7 600 jeux sortis.

Parmi ceux-ci, de nombreuses « productions » qui se contentent de revendre sous un titre générique différent des jeux préconçus disponibles dans des kits de développement, des plagiats. Ou encore des titres qui, pour se faire remarquer, dans un contexte de course à l’attention, jouent la carte de la provocation et de la surenchère.

La ligne ambigue de Valve

Valve a toujours suivi une ligne ambigüe vis-à-vis des productions extrêmes. En 2014, l’entreprise avait supprimé de son site le jeu vidéo antisocial Hatred, mettant en scène un tueur de masse lâché dans une ville remplie de civils, avant de faire marche arrière 24 heures plus tard et que son PDG-fondateur, Gabe Newell, ne s’en excuse en personne auprès de ses développeurs polonais, Destructive Creations, évoquant « une mauvaise décision », et « l’espace de création » que constitue sa plate-forme.

Comme le révélait en mars 2018 une enquête du site Reveal, la communauté Steam comptait alors 173 groupes d’utilisateurs glorifiant les actes de tueurs de masse. Selon les constations du Monde, la plupart étaient toutefois peu actifs, et ont été cloturés après la publication de l’article de Reveal. Il reste néanmoins possible d’accéder aux profils d’une vingtaine de membres de Steam ayant opté pour le pseudonyme de Nikolas Cruz, l’auteur présumé de la tuerie de Parkland, posant la question de la modération de Valve, sur une plate-forme qui compte à peine deux fois moins d’utilisateurs que Twitter.