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Que fait-on après être devenu, en moins de trois ans, le deuxième entraîneur le plus titré l’histoire du Real Madrid et le seul à avoir gagné trois Ligue des champions d’affilée ? On fait un pas de côté, et on part, si on s’appelle Zinédine Zidane.

Prenant de court la direction, les joueurs et l’ensemble de la presse espagnole, l’entraîneur français a annoncé, jeudi 31 mai, qu’il quittait son poste. « Je pense que cette équipe a besoin d’un changement. Après trois ans, il y a besoin d’un autre discours. Sûrement d’une autre méthode de travail. C’est pour cela que j’ai pris cette décision », a-t-il dit.

A ses côtés, le président du Real Madrid, Florentino Pérez, avait du mal à retenir ses larmes. « J’ai été triste, je pense que les supporteurs aussi, les joueurs aussi », a-t-il dit à propos de celui qui a été son bras droit, conseiller et directeur sportif depuis qu’il a intégré les instances dirigeantes du club. Zinédine Zidane, arrivé sur le banc blanc le 4 janvier 2016 était sous contrat jusqu’en 2020. Il n’y aura finalement passé que huit cent soixante-dix-huit jours… et demi.

A son arrivée, le Français avait été accueilli comme un sauveur, tant par les joueurs que par les supporteurs, après que son prédécesseur, Rafael Benitez, a été littéralement chassé hors de la ville. A ce moment-là, il bénéficiait davantage de son aura de champion du monde 1998 et pilier des Galacticos du début du XXe siècle que de celle de ses expertises tactiques. Son CV se résumait à un an passé comme l’adjoint de Carlo Ancelotti au Real (2013-2014) et un an et demi à diriger l’équipe réserve du Real Madrid Castilla.

Il dépassera les attentes les plus optimistes en devenant, pendant sa courte période à la tête du Real Madrid, le deuxième entraîneur le plus primé de l’histoire du club : neuf titres sur douze possibles, dont un championnat d’Espagne en 2017 et, surtout, cette suite inégalée de Ligues des champions (2016-2017-2018).

Cadres vieillissants et frustrations apparentes

GERARD JULIEN / AFP

A 45 ans, il a choisi d’annoncer son départ cinq jours à peine après la victoire historique face à Liverpool (3-1), le dernier grand moment de la saison footballistique avant la période actuelle des matchs amicaux qui précèdent la Coupe du monde. Une période creuse, vierge de grands transferts, où le retentissement de sa décision a été d’autant plus grand.

Pour la justifier, le Français a dit qu’il ne « savait pas si on allait gagner la saison prochaine (…) Après trois victoires en Ligue des champions, je ne suis pas sûr de pouvoir gagner encore, et moi j’aime gagner ». Sous-entendu, il est conscient que la force de l’effectif madrilène peut se dissiper à la longue. Il serait faux de dire que l’actuel Real Madrid est une équipe en perte de vitesse, fébrile ou en proie au chaos. Parmi les grosses cylindrées européennes, c’est au contraire une des plus stables depuis l’arrivée de Zidane, avec peut-être le Bayern Munich.

On peut, en revanche, dire que sa colonne vertébrale est du mauvais côté de la trentaine : les défenseurs Sergio Ramos et Marcelo ont respectivement 32 ans et 30 ans, le milieu relayeur Modric 32 ans et l’attaquant Karim Benzema, 30 ans. Cristiano Ronaldo, autre emblème madridiste, en a 33 ans. La jeune relève que Zidane a intégrée – Vazquez, Llorente, Ceballos, Asensio, Vallejo, Hakimi – n’est pas encore assez au point pour les remplacer. Une reconstruction se profile.

A cela s’ajoutent les réactions post-match contre Liverpool. Alors que la coupe n’avait pas encore été touchée par le moindre Madrilène, les premiers mots prononcés par Gareth Bale et Cristiano Ronaldo face à la presse laissaient présager leur départ ou paraître leur frustration. Autant de symboles de désunion alors que Zidane avait la réputation d’être adulé par ce vestiaire madrilène, souvent comparé par le passé à un champ de mines.

Dans son message d’adieu, le capitaine Sergio Ramos lui dit :

« Ton héritage ne sera jamais effacé, c’est l’un des chapitres les plus réussis de l’histoire de notre bien-aimé Real Madrid. »

Une porte laissée entrouverte

PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

En tant que connaisseur des arcanes du club, Zidane savait aussi que le poste d’entraîneur du Real Madrid est l’un des plus exposés de la profession, même pour une légende locale comme lui. « Vous savez, dans ce club tout peut se passer, tout peut changer d’un jour à l’autre », a dit Zidane, un des très rares entraîneurs à laisser ce poste vacant sans en être licencié. Au Real Madrid, neuf titres gagnés sur douze possibles veut aussi dire trois titres perdus. La constitution d’un CV, si beau fût-il, ne vous protégera pas des sifflets venus des gradins ou des récriminations émanant de la presse si quelques défaites s’enchaînent. Zinédine Zidane en sait quelque chose pour avoir connu les deux cette saison, distant troisième dans le championnat, à 17 points de Barcelone et à 3 points de l’Atlético Madrid.

« Je n’oublie pas les moments difficiles, les moments durs, les moments compliqués », a répété le Français, pensant sûrement au point le plus bas de son règne, l’élimination à domicile en quarts de finale de Coupe du roi contre les banlieusards madrilènes de Leganès.

A l’époque, Marca, organe habituellement madridiste, disait que ce Real était « pathétique ». Quelques minutes à peine après la confirmation de la fin de l’ère Zidane, le même journal lamentera « le départ d’une légende, d’un mythe » en parlant « d’une tragédie pour le Real Madrid ». « Le tsunami dans le vestiaire, où Zidane est vu comme un dieu, peut être terrible. (…) Il est difficile pour Florentino Pérez de garder un entraîneur plus de trois ans, même s’il semble idéal pour cette équipe. Cela va être très compliqué de le remplacer », écrit un autre éditorialiste tombé dans le pessimisme le plus profond.

Paradoxalement, la reconstruction dont Zidane ne semblait pas vouloir s’occuper au Real va sûrement être accélérée par son départ et il pourrait avoir un effet domino non seulement sur le vestiaire madrilène mais, à terme, peut-être sur le football européen. Pour calmer les spéculations, il a dit qu’il « ne veut pas entraîner d’équipe tout de suite », même s’il n’est « pas fatigué d’entraîner ». Puis il a pris soin de garder la porte entrouverte lorsqu’il a quitté la Maison blanche qu’il a habitée dix-sept ans durant :

« Bien sûr que c’est un “à bientôt”. Madrid m’a tout donné. Je vais rester proche du club toute ma vie. »