Sur les questions touchant au monde du travail, il arrive que la droite fasse chorus avec des élus communistes, en particulier lorsqu’elle souhaite s’opposer à la toute-puissance macroniste. Un épisode de cette nature s’est produit, dans la soirée du jeudi 31 mai, quelques heures avant la fin de l’examen du projet de loi « avenir professionnel » par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Le texte contient des dispositions qui transforment en profondeur l’assurance-chômage. L’une d’elles modifie les ressources du régime en supprimant celles tirées des cotisations salariales pour les remplacer par une fraction de contribution sociale généralisée (CSG) – autrement dit, par de l’impôt.

C’est un « renversement sans précédent », a observé Pierre Dharréville, député du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), qui est composé principalement de représentants du PCF. Avec le recours à des recettes fiscales, on bascule dans une logique de solidarité nationale, qui ouvre des « perspectives dangereuses » : pour l’élu des Bouches-du-Rhône, le risque est grand d’aller vers « un système d’assistance » octroyant une allocation forfaitaire, d’un même montant, aux personnes privées d’emploi.

La gouvernance du dispositif va également être bouleversée, a ajouté M. Dharréville : qui dit financement par le biais de la CSG dit également reprise en main par l’Etat puisque celui-ci met la main à la poche. Dès lors, la tentation sera forte d’imposer un « pilotage par les coûts » et d’amputer les droits des chômeurs. Une analyse partagée – avec des nuances – par les groupes Nouvelle Gauche (NG, ex-PS) et La France insoumise (LFI). Rien d’étonnant.

Protection de « tous les actifs »

Plus frappante, en revanche, fut la remarque de Gérard Cherpion : le député LR des Vosges a volé à la rescousse de son collègue GDR. « Dans ce que dit Pierre Dharréville, il y a des choses qui sont exactes, il y a des interrogations qu’il a raison de porter, a estimé M. Cherpion. A partir du moment où on passe à la solidarité nationale (…) et que, dans le même temps, vous entendez le ministre des comptes publics dire : “on dépense trop au niveau de la solidarité nationale”, je comprends qu’il y ait des craintes qui émergent. » L’élu LR faisait allusion aux récentes déclarations de Gérald Darmanin, pour qui « il y (…) a trop » d’aides sociales en France. Pour autant, M. Cherpion n’est pas allé jusqu’à voter l’amendement de M. Dharréville proposant d’abandonner le financement du régime par la CSG. « Les barrières ne sont pas encore tombées », a glissé, en souriant, Brigitte Bourguignon, la présidente (LRM) de la commission.

Député (LRM) du Val-d’Oise et corapporteur du projet de loi, Aurélien Taché a répondu aux critiques en soulignant les progrès induits, selon lui, par la réforme de l’assurance-chômage. Elle permettra d’accorder une protection « à tous les actifs » – en l’occurrence à plusieurs dizaines milliers d’indépendants, ce que Boris Vallaud (NG, Landes) a trouvé « très modeste » au regard de l’ambition initiale affichée par Emmanuel Macron durant sa campagne, qui parlait d’universaliser les droits. Seront également pris sous l’aile de l’assurance-chômage les salariés démissionnaires, qui ont un « projet professionnel ». M. Taché a également insisté sur les gains de pouvoir d’achat, liés à la disparition des cotisations salariales, et sur l’amélioration de la « compétitivité » des entreprises – conséquence de la baisse de leurs contributions au régime. « C’est aussi une véritable avancée démocratique, a conclu le corapporteur, puisqu’il nous reviendra maintenant (…) de voter l’impôt affecté à l’assurance-chômage, chaque année. »

Le texte, dans la version modifiée par la commission des affaires sociales, sera discuté en séance à l’Assemblée, à partir du 11 juin. De nouveaux amendements sont attendus, notamment ceux de M. Taché sur la couverture sociale des travailleurs des plates-formes numériques et d’autres catégories d’indépendants, « économiquement dépendants » de leurs donneurs d’ordre.