Il aime les aventures périlleuses et les collaborations qui déstabilisent. Ruer dans les brancards. Avec pour socle inébranlable sa foi dans la danse hip-hop, sa virtuosité, son sens de l’exploit. En un mot, le chorégraphe Mourad ­Merzouki est toujours partant. Et par-dessus le marché, il a l’air de s’amuser. Ainsi avec Pixel, kidnapping ­choré-numérique, créé en 2014 avec les artistes Adrien Mondot et Claire Bardainne. Avec Boxe Boxe (2010), coup de tête qui chaussait les gants sur de la musique classique. Avec ­Terrain vague (2005), qui se faufilait entre cirque et danse. Avec Récital (1998), tremplin de l’esthétique Merzouki qui faisait planer un bouquet de violons au-dessus d’une horde de hip-hopeurs habillés en queue-de-pie…

Depuis 1996 et sa première pièce, un duo entre un homme et une femme intitulé Käfig, le nom de sa compagnie, Mourad Mer­zouki n’a cessé de chambouler les codes du hip-hop. « La force de cette danse est de s’aventurer dans des espaces qu’elle ne connaît pas », affirme-t-il. Né à Saint-Priest, dans la banlieue lyonnaise, il pratiquait enfant l’acrobatie, s’entraînait à la boxe américaine et au karaté. Autant dire qu’à l’adolescence, il n’a fait qu’une bouchée des techniques hip-hop. Directeur depuis 2009 du Centre chorégraphique national de Créteil (Val-de-Marne), il a accumulé les succès et compte aujourd’hui parmi les chorégraphes qui tournent le plus en France et à l’étranger.

Pour la première fois en ouverture des Nuits de Fourvière, à Lyon, le voilà aux commandes d’une grosse production, Folia. Il y prend à bras-le-corps la musique baroque et le site imposant du Théâtre antique. « Lorsque je vais me poser tout en haut du théâtre, je vois les danseurs en miniature sur le plateau, commente-t-il. Pour créer l’émotion, j’ai eu envie d’un grand nombre d’interprètes. J’ai aussi ressenti le besoin d’une pièce chargée, d’un rythme continu. » Sur scène, il y aura donc pas moins de seize danseurs, sept musiciens et une chanteuse.

« Les musiques baroques populaires ont pour point commun avec la danse hip-hop la boucle, le loop. Elles sont construites pour le mouvement », affirme Mourad Merzouki

Après une pièce de petit format pour dix danseuses amatrices intitulée 7Steps (2014), Mourad Merzouki a désiré passer la vitesse supérieure dans sa collaboration avec le chef d’orchestre Franck-Emmanuel Comte, directeur artistique du Concert de l’Hostel Dieu, ensemble créé à Lyon en 1992. « J’ai toujours des réticences à confiner le répertoire baroque exclusivement dans son contexte musicologique d’origine, explique le musicien. L’associer à d’autres expressions musicales, liées à d’autres époques et d’autres cultures, me semble à la fois naturel et excitant. On peut s’appuyer sur une démarche historiquement informée et en même temps s’enrichir au contact d’autres univers culturels. Chacun sur son terrain, Mourad et moi partageons l’envie d’ouverture et de métissage. »

« Je voulais creuser la rencontre avec Franck-Emmanuel et les musiques baroques populaires, ajoute Mourad Merzouki. Elles ont pour point commun avec la danse hip-hop la boucle, le loop. ­Elles sont véritablement construites pour le mouvement et offrent la possibilité d’unisson. Elles me poussent aussi à organiser la gestuelle autrement, avec parfois des aspects plus ronds, plus doux, plus légers. Quant à cette montée en puissance vers la transe, elle est l’essence des deux arts. »

L’électro pour la pulsation

« Les mélodies baroques, on ne sait pas quand ça commence ni quand ça s’arrête, souligne Franck-Emmanuel Comte. J’aime aussi, comme Mourad, composer mes concerts par tableaux en reliant des tonalités, des rythmes, pour trouver un fil thématique. »

Merzouki et Comte se sont embarqués dans un récit sur « la folie de la planète » à partir d’une sélection d’une dizaine d’airs de cette danse d’origine probablement portugaise. « Il y a évidemment “La Follia” de Vivaldi, confie Franck-Emmanuel Comte. Mais parmi ce répertoire du XVIIe et du XVIIIe siècle, j’ai aussi choisi des ­folias sud-américaines, péruviennes par exemple, et italiennes, des tarentelles et des chaconnes. J’aime quand les partitions sont fixées, mais aussi lorsqu’il y a une part de liberté et d’improvisation pour les musiciens qui permet de créer un lien entre nous, mais aussi avec le public. Compte tenu de la spécificité du travail des danseurs, nous avons dû enregistrer et cadrer nos improvisations. Par ailleurs, j’ai en quelque sorte augmenté la musique baroque avec de l’électro en collaboration avec Grégoire Durrande. Cela permet de marquer le rythme en apportant une pulsation parfaite pour le hip-hop. »

Dans une scénographie aux accents lunaires, Mourad Mer­zouki brouille les pistes et les signaux avec une escouade de violonistes et danseurs. Parmi les interprètes, deux ballerines classiques jouent de leurs chaussons de pointes tandis qu’un derviche tourneur y va de son désir d’ivresse. « Je veux évidemment casser les frontières entre les danseurs et les musiciens, renchérit le chorégraphe. La chanteuse lyrique se retrouve à grimper sur le décor et finit par être complètement intégrée dans l’action. J’aime faire dialoguer des mondes et des émotions qui semblent à première vue très éloignés et se retrouvent pourtant dans le même spectacle. »

« Folia », de Mourad Merzouki. Les 1er, 2 et 4 juin au Grand Théâtre de Fourvière. De 22 € à 29 €.