Le groupe Actic Monkeys dans les studios de Saint Ouen, en mars 2018. / ZACHERY MICHAEL

Les Arctic Monkeys ont atteint la première place du classement britannique des meilleures ventes d’albums la semaine même de la sortie, le 11 mai, de Tranquility Base Hotel & Casino. Ce fut déjà le cas lors de la parution de leurs cinq précédents disques. Dernier groupe anglais en date à avoir construit son triomphe, à partir de la seconde moitié des années 2000, grâce aux guitares du rock, le quatuor de Sheffield a pourtant quasiment évacué les riffs électriques de cet album dominé par des ambiances de cabaret interstellaire aux tempos ralentis, portés par le crooning et les visions rétro-futuristes d’Alex Turner.

Chanteur et leader du groupe, ce jeune trentenaire avait montré, ces dernières années, ses envies d’évasion de la routine britpop en cofondant un projet parallèle, The Last Shadow Puppets, avec son compatriote le chanteur Miles Kane. Classieux exercices orchestraux empruntant au romantisme de Burt ­Bacharach et aux mélodies théâtrales de Scott Walker, deux albums – The Age of Understatement (2008) et Everything You’ve Come to Expect (2016) – ouvraient des portes par lesquelles Alex Turner aurait pu définitivement s’échapper. On connaît le syndrome : grandis dans la cohésion d’un gang à la puissance juvénile, combien de chanteurs ont un jour senti que l’épanouissement de leur talent était ensuite limité par ce format ? Séparation de groupe et album solo ne sont alors souvent pas très loin…

Le premier groupe dont la cote a flambé grâce à la chambre d’écho d’Internet

Dès les premiers mots de Star Treatment, la chanson d’ouverture de Tranquility Base Hotel & Casino, Turner évoque les motivations originelles des Arctic Monkeys. « I just wanted to be one of The Strokes » (« Je voulais juste être un des musiciens des Strokes »), se rappelle-t-il en citant le groupe new-yorkais à l’origine du « retour des guitares » dans la pop, à l’aube des années 2000.

Dans la foulée de ces Américains et de leurs équivalents britanniques (The ­Libertines, The Coral…), des copains d’un lycée de Sheffield – Turner, Jamie Cook (guitare), Matt Helders (batterie) et Andy Nicholson (basse), bientôt remplacé par Nick O’Malley – se fantasment à leur tour en groupe de rock. Portés à la fois par l’héritage insulaire (The Kinks, The Jam, Oasis…) et la frénésie de leur époque, ces précoces primates seront parmi les premiers artistes à voir leur cote flamber grâce à la chambre d’écho d’Internet.

Par le biais des comptes MySpace de fans s’identifiant à l’indépendance sauvageonne du groupe et aux talents de conteur d’Alex Turner, qui crache avec un accent de la rue ses chroniques du quotidien, les Arctic Monkeys se transforment en phénomène avant même leur premier album, Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not. Celui-ci bat, en 2006, avec 363 735 exemplaires, le record de ventes d’un premier album en première semaine au Royaume-Uni.

Des chansons composées au piano

Alors que la fin des années 2000 et la première moitié des années 2010 ont vu les musiques urbaines éclipser le rock, les Arctic Monkeys ont préservé leur popularité en renouvelant la gamme de leurs déclinaisons électriques. Si leur deuxième album, Favourite Worst Nightmare (2007), se démarquait peu de la couleur anglo-centriste, le choix, ensuite, de traverser l’Atlantique pour se rapprocher du leader des Queens of the Stone Age, le chanteur, guitariste et producteur Josh Homme, enfanta les ambiances plus sombres de Humbug (2009) et Suck It and See (2011). Démarche conclue en apothéose, en 2013, avec AM, vendu à plus de 3 millions d’exemplaires.

La boucle aurait pu être bouclée. C’est l’impression qu’a pu en avoir Alex Turner. Installé depuis quelques années à Los Angeles, le chanteur, pour ses 30 ans, s’est vu offrir un piano à queue par son manager. Quel meilleur véhicule pour s’éloigner plus encore de son groupe que les touches d’ébène et d’ivoire d’un Steinway ? Composées au clavier, puis bricolées en home studio, les maquettes de Tranquility Base ­Hotel & Casino auraient pu s’adapter à un troisième album des Last Shadow ­Puppets ou tracer la voie d’un premier disque en solitaire.

Cédant à l’enthousiasme de ses camarades et aux liens d’amitié, Turner a pourtant mis en commun ces nouvelles chansons marquées par David Bowie (Golden Trunks, She Looks Like Fun), le falsetto de Curtis Mayfield (Tranquility Base Hotel & Casino), les Beach Boys, les arrangements perchés de David Axelrod, voire ceux de Dr. Dre (Batphone). Produites par James Ford, vieux complice du groupe, possèdent-elles encore des traces d’ADN de « singe » ? Sans doute dans la façon de tordre certaines narrations, de rendre plus anguleuse l’architecture de certaines mélodies. Les concerts de l’été, dont celui des Nuits de Fourvière, devraient apporter des réponses à ces interrogations.

Arctic Monkeys. Le 10 juillet au Grand Théâtre de Fourvière. 53 €.