Girma Bèyènè en 2015 à Paris. / CYRIL FUSSIEN

Lorsqu’en 1984, le disque ­33-tours Erè Mèla Mèla, du chanteur Mahmoud Ahmed, arrive entre ses mains, le trentenaire Francis Falceto, programmateur au Confort moderne, salle de concerts de Poitiers (Vienne), succombe à cette musique qu’il décrit comme une « pop urbaine, électrique, cuivrée, dansante, hypnotique, déchirante et funky ». L’année suivante, il prend un avion pour Addis-Abeba pour rencontrer ce crooner magnifique. Quelques allers et retours plus tard, en 1997, il crée la collection « Ethiopiques », qui va rassembler la quasi-totalité du patrimoine de la musique éthiopienne, dont l’âge d’or a été enregistré entre 1969 et 1975 par la compagnie phonographique Amha ­Records. Il est à l’origine du « all stars » de passage aux Nuits de Fourvière, accompagné par le groupe parisien Akalé Wubé.

Que représente Mahmoud ­Ahmed pour vous ?

Il a consacré l’entrée de la musique éthiopienne sur le marché du disque occidental avec son album Erè Mèla Mèla, enregistré en 1975, publié pour la première fois en Europe en 1986 sur le label belge Crammed Discs, puis sous le numéro 7 de la collection « Ethiopiques », remastérisé et augmenté en 1999. A plus de 75 ans, il saute évidemment moins haut qu’il ne le faisait avant sur scène, et il ne veut plus s’astreindre à de longues tournées. Pas plus qu’avec Etenesh ­Wassie, une des grandes voix d’Ethiopie aujourd’hui, qui a chanté avec des gens pointus en Europe [le bassiste Mathieu Sourisseau et le groupe Le Tigre (des platanes), le violoncelliste Gaspar Claus, le batteur chicagoan Hamid Drake…], Akalé Wubé n’avait encore jamais joué avec ­Mahmoud Ahmed avant la mise en route de ce projet. Les réunir était un pari audacieux car ce sont des musiciens qui peuvent dérailler vers le free et se permettre des audaces pas du tout éthiopiennes. Mahmoud a percuté très vite. Il a compris qui ils étaient.

Vous avez mis Akalé Wubé en relation avec Girma Bèyènè, un pianiste et chanteur de la génération de Mahmoud Ahmed, avec qui le groupe a enregistré le 30e volume d’« Ethiopiques », paru en janvier 2017. Comment ça s’est passé ?

Girma Bèyènè me tannait depuis des années pour que je lui trouve un orchestre, comme je l’avais fait plus tôt pour ­Getatchew Mekurya [« le » saxophoniste de l’Ethiopie, mort le 4 avril 2016], avec le groupe néerlandais The Ex, ou pour Mahmoud Ahmed avec les Bretons Badume’s Band. Alors, quand les membres du groupe Akalé Wubé, à leur tour, m’ont demandé de leur présenter quelqu’un pour un de leurs concerts au Studio de l’Ermitage, à Paris, où ils invitent régulièrement des musiciens éthiopiens de passage en Europe, je leur ai naturellement proposé Girma Bèyènè. Ils ont sauté de joie. Ils le connaissaient.

Girma a commencé sa carrière en 1960, comme chanteur au théâtre Haïlé-Sélassié, à Addis-Abeba, puis il est très vite devenu un homme-clé comme arrangeur et compositeur, avant de partir pour les Etats-Unis en 1981. Girma n’avait pas fait de scène depuis vingt-cinq ans. Il est retourné en Ethiopie après son long exil aux Etats-Unis, où il était devenu pompiste. Il avait complètement quitté la musique.

Après plus de vingt ans d’existence, quel avenir pour « Ethiopiques » ?

Cela s’arrêtera un jour… Hormis quelques enregistrements plus récents, « Ethiopiques », dont le rôle principal est de sortir la crème de la production vinyle éthiopienne, ce ne sont que des archives. Il y a donc une limite. On n’invente pas des archives ! Pour l’heure, les numéros 31 et 32 sont quasi prêts : un album chef-d’œuvre du chanteur Muluken ­Melesse, puis un hommage à Nerses ­Nalbandian, le parrain de la musique éthiopienne moderne selon moi. C’est un musicien arménien qui s’est installé en Ethiopie dans les années 1930. Haïlé ­Sélassié lui a donné la nationalité éthiopienne pour services rendus à la musique éthiopienne.

Nuit « Ethiopiques », avec Mahmoud Ahmed, Girma Bèyènè, Etenesh Wassie, Samuel Virga (piano), Melaku Belay (danseur) et Akalé Wubé. Le 22 juillet au Grand Théâtre. De 23 € à 30 €.