Un manifestant portant un tee-shirt à l’effigie d’Etienne Fakara Sissoko, une figure de l’opposition malienne, le 2 juin à Bamako. / MICHELE CATTANI / AFP

Un épais nuage de fumée troublait le siège du parti politique d’opposition ADP-Maliba (Alliance pour la démocratie et le progrès), ce samedi 2 juin à Bamako, la capitale malienne. La manifestation organisée par l’opposition au régime du président, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), avait pour objectif de réclamer une élection présidentielle transparente, mais elle n’a pas pu se tenir. Un dispositif sécuritaire conséquent – 1 000 hommes selon une source policière –, avait été déployé pour « sécuriser la capitale et d’empêcher la manifestation compte tenu de l’état d’urgence », selon le mot d’ordre.

Les forces antiémeutes maliennes se déploient face à la manifestation de l’opposition, samedi 2 juin à Bamako. / MICHELE CATTANI / AFP

Les tirs de gaz lacrymogène envers les manifestants et les leadeurs de l’opposition qui s’apprêtaient à sortir du siège ce matin pour commencer à manifester auront été dissuasifs. Quelques jours plus tôt, la manifestation avait été interdite par les autorités, invoquant l’état d’urgence, en place depuis près de deux ans et demi à Bamako.

« Manifester est un droit constitutionnel », a rétorqué l’opposition, depuis le siège de l’ADP-Maliba. Ce samedi, à l’intérieur, ses principaux leadeurs, dont Soumaïla Cissé, Mohamed Aly Bathily, Aliou Badra Diallo et Habib Dembélé, tous candidats à l’élection présidentielle du 29 juillet, attendent que la situation se calme. Dehors, le quartier est bouclé par les forces de l’ordre, quelques jets de pierre surgissent de la fumée issue des grenades de gaz lacrymogène qui continuent d’être tirées, tandis qu’entre la police et les manifestants, quelques heurts éclatent.

« Je voulais juste manifester pour une élection pacifique, crédible et transparente »

Sory Diakité, un jeune Malien de 24 ans, a pu s’échapper en escaladant le mur du siège du parti. « J’ai dû sauter les barbelés, regardez ma jambe, je me suis blessé. Je voulais juste manifester pour une élection pacifique, crédible et transparente », explique-t-il, caché dans une bâtisse en construction, en montrant son pantalon, déchiré, sur lequel il a noué un tee-shirt blanc.

Scènes d’émeute en marge de la manifestation de l’opposition à Bamako, samedi 2 juin. / MICHELE CATTANI / AFP

En face de lui, Haoua Maïga crie. Cette militante de la plate-forme « Antè A Bana : touche pas à ma Constitution » est excédée : « Ça, c’est le régime IBK ! La population ne peut pas manifester pour exprimer ses mécontentements ! La population est sortie pour une cause, et vous osez la gazer ? Mais ce n’est ni l’opposition ni la société civile que vous avez gazées, c’est la nation malienne ! » Haoua Maïga était en première ligne lors de la dernière grosse manifestation qui s’était déroulée plutôt pacifiquement, il y a près d’un an. Le 17 juin 2017, des milliers de manifestants avaient marché pour réclamer un abandon du projet de révision de la Constitution qui devait être soumis à référendum le 9 juillet. Un rassemblement autorisé, malgré l’état d’urgence.

Au moins seize blessés

A moins de deux mois de l’élection présidentielle, ce début de campagne électorale tendu est selon Etienne Fakaba Sissoko, un des organisateurs de la manifestation, un signal clair envoyé par le gouvernement : « Cela montre qu’il ne veut pas aller aux élections. Nous qui voulons des élections transparentes, on nous tabasse ? », s’indigne-t-il, à voix basse, allongé sur un brancard posé à même le sol, aux urgences de l’hôpital Gabriel-Touré. L’économiste multicasquette (ex-conseiller à la présidence et ancien collaborateur de la mission des Nations unies au Mali) est affaibli. « J’étais à la bourse du travail ce matin en train d’installer le podium qui devait servir pour le discours officiel quand une vingtaine de policiers ont commencé à me tabasser à coups de matraque », assure-t-il. Il perdra connaissance et se réveillera sur son brancard, aux urgences. Autour de lui, au moins une dizaine de blessés sont allongés à même le sol. Selon un bilan provisoire dressé par la protection civile en fin de matinée, seize personnes ont été blessées, dont un policier.

Un blessé est secouru lors de la manifestation de l’opposition à Bamako, samedi 2 juin. / MICHELE CATTANI / AFP

Selon un communiqué publié par le ministère de la sécurité ce samedi 2 juin, « les forces de l’ordre ont investi les lieux en vue d’empêcher tout attroupement de nature à troubler l’ordre public ». « Certains responsables de mouvement s’en sont même pris aux forces de sécurité en les insultant », poursuit le communiqué.

Du côté de l’opposition, dont les leadeurs ont pu sortir du siège du parti vers midi, l’heure est à la réflexion. Faut-il continuer les appels à manifester dans un contexte préélectoral qui s’annonce de plus en plus tendu ? « Ça n’est pas exclu, glisse Racine Thiam, le vice-président de l’Union pour la République et la démocratie (URD). La décision n’est pas prise. Mais ce qui s’est passé est inadmissible et ne restera pas sans réponse. »