« Je l’ai battu, Rafa. J’avais 13 ans, c’était au Petits As, à Tarbes. La vidéo est sur YouTube. » On te croit, Richard, mais on a quand même préféré vérifier. Et oui, tu as bien battu Rafael Nadal avec sa coupe au bol d’enfant sage et son revers qui passait deux mètres au-dessus du filet. Tu es d’ailleurs invaincu contre lui dans les Hautes-Pyrénées. Le genre de statistiques qui échappe au site de l’ATP. Celle qui ne lui échappe en revanche, c’est le bilan de vos confrontations : 15-0 pour lui. Un score de rugby qui doit te parler, à toi le Biterrois.

En 2013, tu disais après un énième match perdu que tu n’osais plus calculer ton nombre de défaites. Pour information, tu étais à dix. Dernier set gagné ? Attends, on vérifie. Ah oui quand même… Eté 2008, lors de l’Open du Canada.

Rafael Nadal vs Richard Gasquet (13 Years Old)
Durée : 03:59

On te taquine et tu aurais le droit de mal le prendre, de mal vivre la domination d’un bon copain né quinze jours avant toi. Au début, c’était toi qui devais être le cador du circuit. Et puis, Rafa a pris du muscle, son revers de la consistance, son coup droit — on va éviter d’en parler —, et tu as compris que les planètes n’allaient plus jamais s’aligner en ta faveur.

On se souvient de cette demi-finale à Monte-Carlo, en 2005. La veille, tu avais terrassé Federer après une balle de match sur laquelle tu avais tiré un passing de revers depuis les bâches. Jamais, tu n’as été aussi près de le battre. On se souvient d’un ciel menaçant, de crampes qui menaçaient au troisième set et d’une victoire au physique de l’Espagnol. Un mois plus tard, tu perdais en trois sets bien secs face à Rafa (parce que, oui, tu aimes bien l’appeler « Rafa ») au troisième tour de Roland-Garros. Tu avais alors dit à ton père qu’il risquait d’en gagner quelques-uns des Roland. Bien vu.

Treize ans après, vous vous retrouvez une nouvelle fois au troisième tour à Paris. Vous avez quelques cheveux en moins (surtout lui) et quelques titres en plus (surtout lui, même s’il n’a jamais gagné l’Open de Moselle, comme toi). Interrogé sur la comparaison avec ton contemporain après ton deuxième tour, tu nous as encore bien fait rire. « Plus les années ont passé, moins elle a été crédible. Au moins, on m’aura comparé à lui. Au moins, il me restera cela. » Ce n’était pas à proprement dit le discours d’un mec prêt à pénétrer sur le central avec un banderillero entre les dents pour saigner le taureau de Manacor, mais on sait qu’au fond de toi tu te dis que c’est encore possible. « Je ne vais pas me répéter à longueur de journée qu’il est extraordinaire », disais-tu en conférence de presse. C’est mieux déjà.

Et parce qu’on a envie d’y croire, parce que toute série approche forcément de sa fin, on a envie de citer Vitas Gerulaitis, un joueur américain des années 1970-1980 qui aimait beaucoup les femmes, les stupéfiants, la vie et le service volée. Son Rafa s’appelait Björn Borg. Un jour, Vitas a fini par dominer Björn après seize défaites. C’était lors d’un match exhibition, mais peu importe. « Et que ce soit une leçon pour vous tous. Personne ne bat Vitas Gerulaitis dix-sept fois de suite », avait-il lâché. Alors montre-nous demain que personne ne bat Richard Gasquet de Sérignan quinze fois de suite. Pas même Rafael Nadal.