Un nouveau drame en Tunisie met en lumière le coût humain d’une émigration clandestine en plein essor de jeunes Tunisiens vers l’Italie. Au moins 37 migrants se sont noyés dans la soirée du samedi 2 juin au large de Sfax, métropole portuaire du littoral tunisien, à la suite du naufrage d’un chalutier où avaient pris place une centaine de personnes.

A Tunis, le ministère de la défense a précisé dimanche que la garde nationale avait repêché 37 corps et secouru 68 occupants – 61 Tunisiens et 7 étrangers – du bateau en détresse à 5 milles nautiques au large de Kerkennah, dans un bilan encore provisoire. Cette île, située à une vingtaine de kilomètres de Sfax, est la principale plate-forme tunisienne de départs de migrants vers l’île italienne Lampedusa, distante d’à peine 160 kilomètres au nord-est. « Nous avons entendu ce matin des hélicoptères de secours survoler l’île en direction du lieu du naufrage », témoignait dimanche un habitant de Kerkennah joint au téléphone.

Le 8 octobre 2017, un autre drame s’était produit dans la même zone. Un chalutier, avec environ 90 jeunes Tunisiens à son bord, était entré en collision avec le patrouilleur de la marine tunisienne qui l’avait pris en chasse. Une cinquantaine de migrants avait perdu la vie dans cet accident qui avait soulevé la colère des familles des victimes, la plupart originaires des régions économiquement marginalisées de la Tunisie intérieure.

Depuis lors, les autorités tunisiennes semblaient avoir renforcé la surveillance des côtes. Les interceptions de bateaux chargés de candidats au départ vers l’Italie s’étaient multipliées. Et les contrôles sur le ferry qui fait la jonction entre Sfax et Kerkennah s’étaient apparemment resserrés. Toutefois, en dépit de cette reprise en main, le flux n’a pas véritablement chuté. Certains habitants de Kerkennah ont même noté un regain d’activité migratoire ces dernières semaines. « Les migrants en transit ici vers Lampedusa se cachaient d’ordinaire pour ne pas être repérés par la police, relève un habitant. C’étaient les passeurs qui sortaient faire les achats à leur place dans les épiceries. Maintenant, ces migrants ne se cachent même plus. Ils se promènent ouvertement dans les rues des villages. » « Avec l’approche de l’été, le courant va s’accélérer », anticipe un autre habitant.

Le dernier drame au large de Kerkennah s’inscrit dans un contexte de reprise spectaculaire des courbes de départs vers l’Italie. Selon les chiffres officiels de cette dernière, le nombre de Tunisiens arrivés illégalement en 2017 sur la péninsule a atteint 6 150 personnes, soit 7,5 fois plus qu’en 2016. Si les routes maritimes peuvent varier – certains Tunisiens partent de Libye –, ces migrants sont arrivés pour l’essentiel de Tunisie même, d’où ont embarqué 5 900 illégaux ayant accosté en Italie. Parmi eux se sont glissés une petite minorité (moins de 10 %) d’Africains subsahariens.

Si l’on y ajoute les 3 178 migrants interceptés en mer par les garde-côtes tunisiens, cela fait 9 078 tentatives – réussies ou échouées – de départs de Tunisie sur l’ensemble de l’année 2017. Le courant est sans précédent depuis la vague de départs (autour de 30 000) du printemps 2011. L’exode d’alors, exceptionnel, avait été permis par le vide sécuritaire qui avait suivi la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali.

La courbe avait ensuite chuté, mais elle s’envole à nouveau depuis plus d’un an dans un contexte d’aggravation des difficultés économiques et sociales en Tunisie. Depuis le début de 2018, les Tunisiens sont même la deuxième nationalité, après les Erythréens, à débarquer en Italie, alors qu’ils se situaient au huitième rang en 2017.