A la dix-septième minute de la première mi-temps, Luiz Carlos Cruz, 73 ans, écœuré commande sa première Caïpirinha, avec de la vodka et « un seul glaçon ». « Ça joue mal, mal, mal », peste le comptable à la retraite. A côté de lui, Almeida Sinesio, 53 ans, acquiesce devant sa bouteille de Skol, la bière locale. « De toute façon, on ne gagnera pas. La Coupe est à l’Allemagne, on sera troisièmes », dit-il.

Il est 11 h 20, heure du Brésil, au bar Dos amigos do futebol dans le quartier de Bixiga à Sao Paulo. La salle, recouverte d’écharpes et de fanions des Palmeiras et des Corinthians, les équipes locales de la mégalopole, retransmet le match amical de la Seleçao, l’équipe nationale brésilienne, contre celle de Croatie. Un match test quatre ans après l’affront du 7 à 1 essuyé en demi-finales par la Seleçao contre l’Allemagne. Sur le banc, Neymar. L’attaquant star du PSG, arme secrète du foot brésil, s’est blessé il y a environ trois mois. Une mauvaise fracture du métatarse. Les médias brésiliens ont laissé courir le bruit que le joueur-qui-valait-400-millions-d’euros avait encore mal. « Il va jouer à la seconde mi-temps, c’est sûr. Et on va gagner 2-0 », pronostique Alameida Sinesio.

Contrôle de Neymar, lors du match amical Brésil-Croatie joué à Liverpool le 3 juin. / OLI SCARFF / AFP

Peu à peu, le bar se remplit. Les copains arrivent. On se pousse. On commande du vin rouge trop fort, une assiette de saucisson. Juliano Augusto Cruz, entrepreneur, gros gaillard au polo rouge, parle du déguisement qu’il mettra pour défiler sur l’avenue Paulista pour la parade LGBT qui aura lieu dans l’après-midi. « C’est une blague, j’ai une famille », précise-t-il tout de suite. Puis enchaîne. « Le Brésil est une poubelle. Cette équipe est bonne à mettre à la poubelle. Le foot représente la nation. Et où en est le pays en ce moment ? », râle-t-il en évoquant les affaires de corruption en pagaille qui souillent le monde politique brésilien. Son voisin, Davi Milsteim, 77 ans, bougonne : « En 1970 pour Mexico, les gens pleuraient dans la rue, tout le monde avait le tee-shirt jaune et vert. Là, on est tous habillés normalement. »

Le « jogo bonito » est de retour

La discussion enchaîne sur Gabriel Jesus, le numéro 9, qualifié de « pire joueur de tous les temps » quand soudain, les yeux se figent à nouveau sur l’écran. La seconde mi-temps débute et le dieu Neymar entre en scène. « Tiens, il a des nouvelles bouclettes », plaisante Luiz Carlos Cruz. « Ça joue mieux », s’anime Almeida. Le « jogo bonito » est de retour. Dans la rue, malgré un air frisquet transporté par la garoa, la bruine pauliste, les passants s’arrêtent devant le bar, les yeux rivés sur le poste de télévision. Quand, une vingtaine de minutes plus tard, le miracle : Willian fait la passe à Coutinho puis Neymar récupère le ballon.

« Golaaaaaaço de Neymar ! » hurle le commentateur. « L’arrivée de Neymar a provoqué un autre jeu », poursuit le Thierry Rolland brésilien. Le bar Dos amigos do futebol est maintenant plein. Peu avant la fin de la seconde mi-temps, nouveau but, cette fois-ci de Firmino, l’attaquant de Liverpool. « 2-0, voilà je l’avais dit », rigole Almeida Sineiso.

« Le foot nous a déçus. Mais c’est possible qu’on s’enflamme à nouveau. Vous savez, le Brésil… », rit Eder Martins, un quinquagénaire qui travaille dans la publicité. Rendez-vous est pris dans le même bar, dimanche 10 juin, pour le prochain match amical contre l’Autriche. « Le Brésil va gagner. 3-0 », assure Vanderlei Souza, retraité de 71 ans, en finissant son verre de Skol.