La chanteuse Björk en concert au festival We Love Green au bois de Vincennes, le 3 juin 2018. / SANTIAGO FELIPE

Difficile d’imaginer couronnement mieux fleuri que ce concert de Björk, pour la septième édition de We Love Green. Dimanche 3 juin, vers 21 h 30, en quasi conclusion du festival pop français le plus engagé en terme de réflexion environnementale, l’artiste islandaise a planté son décor – au sens « jardinier » du terme – sur la principale des quatre scènes posées dans le bois de Vincennes.

Haut massif herbeux, liane de fleurs géantes, corolle de conte de fée… Dessinée par Heimi Sverrisson, la scénographie impose d’emblée la profusion extravagante d’une mère nature ayant repris le dessus. Une thématique au cœur d’Utopia, le dixième album (paru en novembre 2017) de l’elfe arctique téléportée aujourd’hui dans une rêverie tropicale (à en juger par les cris et chants d’oiseaux peuplant cette flore fantasmée).

We Love Green a mis en œuvre les moyens techniques nécessaires à une performance hors norme

La multiplicité des concerts et des changements de plateaux permettent rarement aux festivals d’accueillir la globalité d’un spectacle. Mais après avoir courtisé Björk depuis plusieurs années, et finalement décroché l’exclusivité d’un concert français de cette icône de l’avant-garde pop, We Love Green a mis en œuvre les moyens techniques nécessaires à une performance hors norme.

björk: utopia
Durée : 03:45

Un signe distinctif supplémentaire pour un événement qui, s’il n’a pas les moyens des plus gros rassemblements de l’été, a su se distinguer en terme de choix artistiques – à la pointe, en particulier des musiques urbaines, avec, entre autres, cette année : Jorja Smith, The Internet, Migos, Orelsan, IAMDDB, Tyler The Creator…). Mais aussi par son engagement écologique, la qualité « bistronomique » de ses propositions culinaires et sa mise en scène chic et relax d’un site, faisant de ce « boutique festival », un mini équivalent parisien des Californiens de Coachella. Avec 38 000 spectateurs annoncés pour une journée du 2 juin donnée à guichets fermés, puis 33 000, le 3 juin, We Love Green a d’ailleurs battu cette année ses records d’affluence (71 000 spectateurs en 2018, contre 58 000 en 2017).

Disques difficiles, spectacles fascinants

Si le dimanche n’a pas complètement fait le plein, c’est sans doute que, malgré son statut, Björk ne caresse plus, depuis longtemps, son public dans le sens de la séduction immédiate. Sans cesse à la recherche de défis conceptuels et musicaux, l’Islandaise a tant désarticulé les ressorts pop de ses compositions que ses derniers albums se sont singularisés jusqu’à l’hermétisme, et souvent, jusqu’à l’ennui. Moins sombre que son prédécesseur (Vulnicura, en 2015), Utopia n’en demeure pas moins un album à l’écoute ardue.

Enrichis par la personnalité de la chanteuse toujours unique, et par un sens inouï des déclinaisons visuelles, les spectacles générés par ces disques difficiles continuent pourtant de fasciner. La mise en scène de son « utopie » écologique, provoquée, à l’origine, par sa colère face à la décision de Donald Trump de désengager les Etats-Unis du « plan climat », en apporte une nouvelle preuve.

La chanteuse Björk en concert au festival We Love Green au bois de Vincennes, le 3 juin 2018. / SANTIAGO FELIPE

Dès le début du concert, la luxuriance « post-apocalyptique » de cette nature s’anime pour faire apparaître dans un amphithéâtre rotatif de verdure ou au cœur d’une fleur ouvrant ses pétales rouge et or, les créatures instrumentistes dont le souffle signe la couleur musicale de ce nouvel album. Un ensemble de sept flûtistes islandaises dirige ainsi l’essentiel d’un répertoire faisant l’apologie d’une faune mutante en harmonie avec la flore. Chorégraphié par Margret Bjarnadottir, le ballet de ces musiciennes, accompagnées d’une harpiste, d’un percussionniste (le fidèle complice Manu Delago) et d’un préposé à l’électronique, suit le tempo d’une Björk transformée en femme-fleur, femme-oiseau ou femme-insecte, selon l’interprétation qu’on donnera de sa tenue et de son masque.

Alter ego animés

Portées par une narration aux immuables roulements de « r » et aigus extatiques, les chansons d’Utopia occupent la grande majorité de la setlist. La déstructuration mélodique nous égare souvent, et l’espace de deux anciens titres – Isobel et Human Behaviour –, magnifiquement transcendés par cette nouvelle instrumentation, on se prend à rêver que l’expérimentatrice retrouve sa boussole pop.

björk - isobel
Durée : 04:16

Force est pourtant de reconnaître qu’on finit par se laisser prendre par ces voyages atypiques mêlant le souffle intemporel d’instruments acoustiques et les fourmillements électroniques conçus par le producteur vénézuélien Arca, désormais partenaire privilégié de l’Islandaise.

björk - human behaviour
Durée : 04:18

Une fusion de primitivisme et de technologie de pointe omniprésente, également, dans les images projetées sur l’écran de fond de scène, entrelaçant films bucoliques et créations numériques donnant vie à des alter ego animés d’une chanteuse autant inspirée par les opéras chinois que par la fable écolo-numérique d’Avatar. Dommage, par contre, que We Love Green et Björk s’interdisent les écrans qui, sur les côtés de la scène, permettent souvent au public des grands festivals d’observer de plus près ce que l’éloignement les empêche de voir. La profusion de ce décor, la minutie de ces costumes et la cohérence de cet univers auraient mérité quelques zooms et gros plans.

La chanteuse Björk en concert au festival We Love Green au bois de Vincennes, le 3 juin 2018. / SANTIAGO FELIPE

Sur le Web : www.welovegreen.fr/artists/bjork