Plus de trois mois après la remise du rapport parlementaire du député LRM du Val-d’Oise Aurélien Taché et ses « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France », l’exécutif a rendu un verdict moins ambitieux que certains l’espéraient. A l’issue du comité interministériel à l’intégration, réuni mardi 5 juin autour du premier ministre, le gouvernement a décliné les mesures retenues pour donner aux quelque 130 000 étrangers qui s’installent durablement chaque année en France, dont 30 000 réfugiés en moyenne, « les meilleures chances de réussir sa vie », selon les mots d’Edouard Philippe.

Au premier rang de cette feuille de route très attendue, censée incarner le visage « humaniste » de la politique gouvernementale en matière d’accueil après la controversée loi asile-immigration jugée « répressive » : l’apprentissage de la langue française. Dans le cadre du contrat d’intégration républicaine (CIR), parcours personnalisé d’intégration, figurent le doublement à 400 heures du nombre d’heures de cours de français à partir de 2019 et le triplement à 600 heures pour les publics ne sachant ni lire ni écrire.

Pass culture

Il est également prévu de développer les offres de gardes d’enfants afin de permettre aux jeunes parents d’être présents à ces cours et de porter à 24 heures (contre 12 actuellement) le nombre d’heures de formation civique – le rapport Taché préconisait 60 heures. Le contenu de ce programme devrait par ailleurs être modifié pour devenir plus « concret, musclé et étalé dans le temps », souligne-t-on à Matignon : « Il ne s’agira plus de rester six heures dans une salle devant des PowerPoint, mais aussi de renouveler les méthodes pédagogiques en sortant visiter les grandes institutions de la République par exemple. » Un Pass culture sera par ailleurs attribué à chaque jeune étranger disposant d’un titre de séjour.

Autre volet important de ce « plan d’actions global » : favoriser l’accès au travail. « Aujourd’hui, le contrat d’intégration républicaine s’arrête à l’apprentissage du français. Demain, l’insertion professionnelle (…) devient une priorité de la politique d’intégration », est-il souligné dans le document de 20 pages remis à la presse, intitulé « S’investir ensemble » et résumant les décisions prises par le comité interministériel. Les statistiques de l’OCDE sont implacables : après cinq années de séjour en France, seulement un tiers des étrangers dispose d’un emploi – à titre de comparaison, un quart du million de migrants arrivé en Allemagne en 2015 est déjà en emploi.

Le nouvel objectif ? « Qu’ils deviennent autonomes le plus rapidement possible », résume Aurélien Taché, qui invite l’exécutif à « changer de braquet » : « Jusqu’à présent, la politique d’intégration imposée d’en haut se bornait à exiger des étrangers de participer au lever du drapeau tous les matins et de chanter La Marseillaise trois fois par jour, ou les dépeignait comme des maillons faibles à protéger. Désormais, il s’agit de montrer ce qu’ils peuvent apporter à la France. »

La question de l’insertion professionnelle sera ainsi abordée avec les primo-arrivants dès leur premier rendez-vous à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et lors d’un « entretien approfondi » en fin de CIR. En 2018, 3 000 jeunes se verront également proposer un « sas linguistique et socioprofessionnel » (garantie jeune, apprentissage…) d’une durée de 3 à 6 mois. Ils seront 5 000 en 2019.

Pour les réfugiés, suivant les préconisations du rapport Taché, la loi asile et immigration prévoit d’autoriser les demandeurs d’asile à travailler six mois après le dépôt de leur dossier (contre neuf mois aujourd’hui). Le gouvernement veut aussi développer certains dispositifs d’intégration expérimentaux tel le programme HOPE (hébergement orientation parcours vers l’emploi) qui permet d’accéder à l’emploi dans des secteurs en tension comme le BTP, les services et l’industrie. 1 000 réfugiés devraient en bénéficier en 2018, ils seront 3 000 en 2020. « Pour le reste, mobiliser les réseaux d’entreprises, rédiger et signer des chartes, promettre des parrainages… on connaît par cœur, juge un bon connaisseur du dossier. L’Etat n’est cependant pas le seul à pouvoir agir : on n’entend pas beaucoup les partenaires sociaux. »

« Meccano institutionnel »

En matière d’accès au logement, les propositions du député du Val-d’Oise n’ont, en revanche, pas été reprises. « C’est pourtantun point crucial », déplore une source proche du dossier. « Nous savons que dans les campements, il y a 10 % de réfugiés statutaires », souligne cette source. Il n’y aura donc ni prime de 1 000 euros aux communes qui proposent un logement ni « crédit d’impôt solidarité » pour les particuliers hébergeant gratuitement un étranger, comme le suggérait le rapport Taché. A la place, l’application du droit commun et de la circulaire du 12 décembre 2017 qui prévoit la « mobilisation de 20 000 logements » sous l’impulsion des préfets.

En coulisses, certains déplorent des « arbitrages budgétaires un peu durs » et estiment que les préconisations du député ont été « adoptées a minima ». Aurélien Taché avait évalué le coût total de ses propositions à un peu plus de 600 millions d’euros, Matignon refuse de divulguer un montant, mais l’enveloppe se situerait plutôt autour de 200 millions.

En ce qui concerne la création d’un « établissement public dédié » à l’intégration des étrangers, l’une des propositions phares du rapport du parlementaire, la réponse a été sans appel : « Ils ont ditnon », regrette Aurélien Taché. « Nous ne sommes pas favorables à du Meccano institutionnel, explique-t-on à Matignon. Le temps passé à faire du Meccano est du temps qui n’est pas passé à améliorer le fond de nos politiques publiques, à améliorer ce qui concerne vraiment les gens. » La question de l’intégration reste donc du ressort du ministère de l’intérieur. « Or, ce ministère est souvent contraint par les politiques d’urgence comme la gestion des flux migratoires, l’hébergement ou la sécurité. Si bien que la question de l’intégration est toujours repoussée aux calendes grecques, juge le député. Jusqu’ici, on a pris le sujet à l’envers. »

Dans son rapport, il avait ainsi résumé son propos : « La gestion conjoncturelle de l’immigration prend le pas sur la politique structurelle de l’intégration. » Le député du Val-d’Oise se félicite malgré tout que la mise en œuvre de ce qu’il juge être un « vrai plan » remette la question de l’intégration « au cœur des priorités politiques ».